la marquise du Val ?
— Mais toi, ne m’es-tu pas apparu sous cette forme ?
— Ah ! oui, sur la route d’Orléans, cette nuit. C’est vrai ; j’avais pris son costume, parce que le bon prêtre était très-bien rembourré contre le froid et que je déteste le froid.
— Ce n’est donc pas toi qui es monté sur la diligence ?
— Je ne le pouvais pas ; l’abbé y était, avant toi, avec le poëte, et il n’y avait place que pour trois.
— Ce n’est donc pas toi qui m’as raconté cette effroyable histoire ?
— Je ne parle jamais de mes affaires.
— Mais cette histoire est-elle vraie ?
— Elle est écrite.
— Me répondras-tu clairement une fois dans ta vie ?
— Je ne sais pas ce que tu entends par répondre clairement.
— Cette histoire est-elle vraie ? dis : oui ou non.
— Qu’entends-tu d’abord par vraie ?
— Tout ce que cet homme nous a raconté est-il arrivé ?
— Oui et non ! Oui, pour toi qui veux bien y croire niaisement ; non, pour ceux qui la traiteront sottement de fable.
— Mais enfin, dit Luizzi, indépendamment de ma foi et de celle des autres, quelle est la vérité ?
— Dans ce temps-là, on disait que le soleil tournait autour de la terre, et c’était une vérité ; aujourd’hui on dit que la terre tourne autour du soleil, et aujourd’hui c’est une vérité.
— Mais, de ces choses, il y en a une qui est la vérité ?
— Peut-être, à moins que la vérité ne soit entre elles.
Luizzi s’aperçut qu’il ne pourrait parvenir à faire dire à Satan ce qu’il ne voulait pas dire, et il se mit à réfléchir à la fois à l’obstination du Diable à ne pas répondre en cette circonstance, et au hasard qui, dans ce singulier voyage, mettait à son encontre la plupart de ceux dont la vie avait été mêlée à la sienne. Il semblait reconnaître qu’il s’établissait autour de lui une lutte entre Satan qui le poussait à sa perte, et une puissance inconnue qui semblait vouloir le sauver. Ce prêtre jeté sur sa route, et qui l’avait averti que l’heure fatale où il lui fallait faire un choix approchait, n’était-il pas l’organe involontaire de cette puissance protectrice ? Cet homme lui-même, rentré par le repentir dans la régularité d’une vie honnête après avoir été si profondément dissolu, n’était-il pas un exemple qui s’offrait à lui et qu’on lui montrait du doigt ? Le baron fut interrompu dans ses réflexions par la nécessité de remonter dans sa voiture ; mais, décidé cette fois à se consulter patiemment et sans se soumettre à aucune influence étrangère, il s’éloigna en disant à Satan :
— Laisse-moi.
— Cela m’est impossible pour le moment.
— Comment, dit Luizzi, impossible ? et si je ne veux pas t’entendre ?
— Tu te boucheras les oreilles.
— Mais ne sais-je pas que ta voix perce à travers les obstacles les plus puissants ?
— Il n’en sera pas ainsi cette fois, car ce n’est pas pour toi que je parlerai.