Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/342

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Le voici. En revenant de Paris dans ce village dont je suis curé, j’ai rencontré ce jeune fou qui vous connaît ; j’ai profité de mon habit séculier, qui ne pouvait lui dire qui j’étais, pour lui montrer jusqu’à quelle triste férocité on pouvait pousser cette manie littéraire qui ne vit plus que d’inceste, de meurtre et de sang, et je lui ai raconté cette légende, que j’ai lue en effet lorsque, faisant ma théologie à Toulouse, j’allais chercher les vieilles traditions de notre pays dans les bibliothèques.

— Mais cette histoire, dit Luizzi que la tranquillité de son interlocuteur stupéfiait, cette histoire ?…

— Est, dit-on, celle de votre famille ; car on peut faire le nom de Luizzi avec celui de Zizuli. Or je vous avoue que j’ai été non-seulement étonné de ce que vous l’ignoriez, mais de l’effet qu’elle paraissait produire sur vous.

Le baron eut un de ces mouvements internes qui nous donnent le doute de notre raison, et il s’écria :

— Me connaissez-vous donc aussi ?

— Je vous connais depuis de longues années, baron, et nous nous touchons par un malheur qui doit être un remords éternel pour tous deux.

— Mais qui êtes-vous donc ? s’écria Luizzi, de plus en plus épouvanté.

— J’aurais voulu ne pas vous dire mon nom ; mais je ne me suis pas consacré à une vie d’humiliations pour fuir devant vous une éternelle honte. Je suis l’abbé de Sérac !

À ces mots, qui semblèrent pétrifier Luizzi, le voyageur salua et partit. À peine avait-il disparu, que Luizzi, s’imaginant qu’il était le jouet du Diable, s’écria :

— Satan ! Satan ! reviens !

Et comme rien ne paraissait, il agita son talisman, et Satan parut. La figure qu’il avait prise cette fois épouvanta encore plus Luizzi que n’avait fait celle d’Akabila. Le baron crut avoir devant lui M. de Cerny : c’était lui, son geste, sa figure, son maintien. Dans son premier étonnement, le baron ne savait s’il rêvait, si c’était le Diable ou si c’était le comte lui-même. Enfin il se décida à parler à cet être, quel qu’il fût.

— Vous voilà donc ? dit-il.

— Me voilà.

— Que me voulez-vous ?

Le Diable sourit, et repartit :

— Ne m’attendiez-vous pas, monsieur le baron ?

— Oui, je t’ai appelé, esclave, dit Armand, qui reconnut enfin Satan à son farouche sourire.

— Et je suis venu, maître.

— Et pourquoi as-tu pris cette figure ?

— Parce qu’elle peut m’être utile.

— Sans doute comme celle que tu viens de quitter tout à l’heure ?

— Tout à l’heure ? dit Satan, je ne t’ai pas vu depuis hier au soir.

— Quel est donc cet homme qui vient de me quitter ?

— Comment, répondit Satan, tu n’as pas reconnu l’abbé de Sérac, l’ancien amant de