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e pittoresque, va jusqu’à Toulouse, je lui recommande de fouiller dans la bibliothèque publique. Dans un petit coin, à gauche de la porte d’entrée, oublié dans le fond d’un rayon, il trouvera un petit manuscrit en langue d’oc, disant la vie de ce fils de Lionel, qui marqua dans la guerre des Albigeois. Il s’appelait…

— Qu’importe ce nom ? dit Luizzi en interrompant encore le Diable avec vivacité ; que devint ce prétendu fils de Lionel ?

— D’après les termes du marché avec le Diable, il avait dix ans pour choisir la chose qui devait le rendre heureux et le faire échapper à sa damnation.

— Et que choisit-il ?

— Rien ; car, se livrant au hasard de sa vie, riche, aventureux, insouciant, il s’aperçut qu’il avait laissé s’écouler les dix années de délai, lorsqu’il n’était plus temps.

À ce mot, Luizzi tressaillit, et, transporté par les terreurs qui le dominaient, il s’écria comme un homme qui s’éveille :

— À quelle date sommes-nous ?

— Le 1er septembre 183…

— Trois mois ! je n’ai plus que trois mois, murmura Luizzi.

Puis il demeura plongé dans une horrible préoccupation. Trois mois lui restaient pour choisir ; mais n’était-ce pas assez, s’il savait les employer à connaître le monde, sinon en l’expérimentant, du moins en se le faisant raconter par Satan ?

Pendant ce temps, le poëte causait avec le voyageur, discutant tous deux le moyen de tirer un drame ou un vaudeville quelconque de cette histoire, comme deux faiseurs littéraires à la mode. Au moment où le baron se remit à les écouter, la diligence s’arrêtait. Satan en descendit, en saluant ses deux compagnons et en leur disant :

— Je vous demande bien pardon de mon bavardage ; je vous ai ennuyés sans doute beaucoup ? Mais que faire en diligence, à moins que d’y conter des histoires ?

Luizzi, ravi de se trouver tête à tête avec Satan, le laissa descendre et le suivit. Lorsqu’ils furent à quelque distance de la voiture, il lui fit un signe impératif de le suivre. Le voyageur obéit et lui dit :

— Je vous comprends, monsieur le baron de Luizzi. Le récit que j’ai fait a pu vous blesser, et sans doute vous voulez m’en demander raison ; mais je ne suis ni d’humeur ni de profession à accepter un duel, surtout contre vous.

— Misérable ! s’écria le baron avec menace, très-persuadé que c’était le Diable qu’il avait devant les yeux et qui se moquait de lui.

— Vos menaces sont inutiles, Monsieur. Je suis prêtre, et, si ma conduite a été quelque temps un objet de scandale, je crois l’avoir suffisamment rachetée par l’austérité d’une vie enfermée dans l’étude et la retraite.

— Que veut dire cette plaisanterie ? reprit Armand, furieux.