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se moquait de moi, j’en suis sûre ! C’est une cruauté et une perfidie sans exemple ! Je dirai tout à ma mère.

— Et vous ferez bien, » repartit Thérèse qui voulait ménager habilement ses moyens de vengeance.

Sylvie courut raconter cette grande trahison à sa mère. Celle-ci montra une bien plus grande indignation encore que Sylvie, car elle se croyait le droit d’en vouloir à Eugénie plus que sa fille même. Le lendemain, madame Legalet fit appeler Eugénie, et, avant d’entrer avec elle en explications, elle lui remit une lettre. Cette lettre était celle par laquelle madame Bénard avait recommandé Eugénie à sa belle-sœur. Cette lettre disait tous les secrets de la pauvre fille. Celle-ci la lut la tête basse et la rendit de même à sa maîtresse.

« — Vous le voyez, Mademoiselle, dit madame Legalet ; je savais tout, et cependant je n’en ai jamais dit un mot, jamais je n’ai prononcé une parole qui pût vous humilier devant vos camarades ; je vous ai même épargné le chagrin d’avoir à rougir devant moi, et vous m’en récompensez en excitant par vos coquetteries l’amour d’un jeune homme que je destine à ma fille, d’un jeune homme qu’elle aime, cette pauvre enfant ; qu’elle aime d’un amour innocent, tandis que le vôtre n’est qu’un bas et odieux calcul. »

Ainsi, après avoir calomnié la vie d’Eugénie, on calomniait son amour même. Elle sentit les larmes la reprendre. Cependant elle se contint, et répondit :

« — Non, Madame, non, je n’ai rien fait pour attirer M. Alfred, et je ne l’aime pas.

— Eh bien ! alors, Mademoiselle, puisque c’est lui seul qu’il faut guérir, je lui dirai ce que vous êtes et qui vous êtes.

— Oh ! Madame, s’écria Eugénie en tombant à genoux, je quitterai votre maison, je m’en irai ; mais ne lui dites rien, ne me déshonorez pas à ses yeux. Que vous importe de me faire du mal quand je ne serai plus là ? »

Madame Legalet réfléchit un moment et répondit :

« — Oui, je sais que vous avez été plus malheureuse que coupable, mais ne le devenez pas en trompant l’amour d’un honnête homme, évitez-le, avertissez-le qu’il n’a rien à espérer : une jeune personne en a toujours les moyens quand elle le veut, et vous les trouverez si vous le voulez. À ce prix, je ne vous renverrai pas ; à ce prix, je vous promets de me taire encore. »

— Enfin, dit Luizzi, voilà une bonne femme.

— Bah ! fit le Diable, si on voulait bien regarder au fond de cette indulgence, on y trouverait peut-être bien un petit infâme calcul.

— Encore ? s’écria le baron.

— Oui, madame Legalet avait peut-être pensé que, si Eugénie sortait de chez elle, Alfred pourrait bien n’y plus revenir ;