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Lionel voit s’agiter devant lui le cadavre sanglant de son frère. Il pousse un cri, un autre cri lui répond. Il se retourne et voit passer de l’autre côté Alix, pâle, échevelée, l’œil hagard, qui disparaît aussitôt. Comme au moment où il avait appris le secret de sa naissance, il doute, il ferme les yeux, il veut fuir, lorsqu’une voix l’appelle : il rouvre les yeux, il regarde… C’est Ermessinde étendant vers lui ses mains d’où le sang découle, et qui crie :

« — C’est moi, Lionel, c’est ta mère ! »

À ce nouvel aspect, la peur, une peur glacée, pénètre dans le sang et dans les os de Lionel : il se sent prêt à perdre ensemble la force et la raison. Il se cramponne à son cheval, en jetant autour de lui un regard épouvanté pour voir si tous ces fantômes, qui ont passé comme des éclairs, ne se sont pas évanouis tout à fait ; mais les voilà qui reviennent tous trois sur leurs chevaux qui se dressent, qui bondissent, qui se heurtent, secouant autour de Lionel l’un un cadavre, l’autre une femme mourante et ensanglantée, le troisième une femme aussi, mais qui se tord en poussant des cris de rage, tandis que des voix, que Lionel reconnaît trop bien, lui disent :

« — Lionel, Lionel, c’est moi… c’est ta mère, c’est ta sœur. »

Noms terribles pour le malheureux, et qui font toujours résonner dans son esprit ces mots effroyables : meurtre, adultère et inceste ! Épouvanté, éperdu, il presse les flancs de la brûlante cavale, qui s’échappe alors avec une étonnante rapidité. Ses pieds minces et légers rasent le sol, tandis qu’elle joue avec le mors de sa bride que la main défaillante de Lionel a quittée. Aussitôt les forts et lourds étalons recommencent leur course furieuse. On entend le bruit de leurs larges sabots martelant la route comme feraient les marteaux de cent forgerons. La cavale semble les écouter hennir, les fuit et les attend, puis elle hennit à son tour, ralentit son vol, et en laisse approcher un. Lionel se retourne, et voit Alix pantelante et éperdue, qui tend les bras et disparaît encore emportée par son coursier. La cavale s’arrête. Un nouveau coursier passe en la rasant. Lionel se cache pour ne pas voir mais il se sent heurté par le cadavre de son frère qui va de çi de là, battant les flancs du cheval qui l’emporte. Lionel veut encore fuir, il crie, il s’agite ; mais il se sent saisi à la gorge par deux mains chaudes de sang. C’est sa mère, sa mère qui lui dit :

« — Sauve-moi, Lionel, sauve-moi ! »

Il la repousse, et frappe avec fureur l’agile cavale : elle court, elle court furieuse et les naseaux fumants. Mais l’étalon qui porte