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château, où l’on avait déjà amené trois superbes chevaux, vigoureux étalons qui bondissaient en hennissant. Les cordes étaient prêtes, et en un moment le cadavre de Gérard, Ermessinde mourante, et Alix qui se débattait dans toute sa force, furent attachés sur les trois coursiers. À peine les derniers nœuds furent-ils serrés, que Hugues s’écria d’une voix tonnante :

« — Et maintenant, laissez passer la justice de l’enfer ! »

La porte s’ouvrit, et les chevaux, ouvrant leurs naseaux fumants aux rafales de la tempête qui leur apportaient les chaudes émanations de la cavale, se précipitèrent par la porte ouverte. Pendant ce temps, d’autres valets avaient entassé d’immenses piles de bois mêlées de paille dans la grande salle du château. Hugues s’y dirigea d’un pas ferme et rencontra le vieux prêtre Audoin, qui, s’étant tardivement levé à cause de sa faiblesse et de son âge, n’avait été témoin que du supplice des coupables.

« — Que viens-je d’apprendre ! lui dit-il, Gérard est mort ?

— Oui, et tu peux prier pour le salut de son âme.

— Ah ! je viens de voir l’épouvantable vengeance que tu en as tirée, et c’est pour le salut de la tienne que je dois prier surtout.

— Ne perds pas tes prières, prêtre ! À l’aspect de mon fils mort, j’ai demandé une vengeance au ciel : c’est l’enfer qui m’a répondu. Pour prix de cette vengeance, je lui donne mon âme, je vais la lui envoyer. »

Aussitôt le vieillard ferma la porte de cette salle, et un moment après on entendit bruire la flamme et gronder l’incendie. Bientôt Hugues parut à tous les yeux ; il était monté au sommet de la tour la plus élevée, et là, debout entre le feu du ciel et celui de la terre, il resta immobile comme une blanche statue. Ce fut du haut de son château embrasé, à la lueur de ces flammes qui semblaient ne pouvoir plus l’anéantir, car il devait être leur aliment impérissable et éternel, qu’il put voir s’accomplir la vengeance que l’enfer lui avait promise. En effet, les fougueux étalons s’étaient élancés à leur tour au bas de la colline, se poursuivant, se ruant les uns contre les autres, tandis que le cadavre de Gérard allait, venait, battant les flancs, la croupe et l’encolure de son coursier ; tandis qu’Ermessinde mourante s’attachait d’une main désespérée à la crinière du sien, et qu’Alix essayait de dénouer les liens qui la retenaient. Quant à Lionel, il avait laissé courir au hasard sa noble cavale, et celle-ci, accoutumée à une main plus ferme, avait repris le chemin du château. Lionel ne s’en aperçut qu’à la soudaine clarté qui se dressa devant lui. Il regardait sans s’expliquer cette lueur rouge qui se croisait avec la flamme blanche des éclairs, lorsque tout à coup passe à côté de lui le galop lancé du premier étalon, et, dans le bond que fait le fier animal pour s’arrêter,