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« — Ne me comprenez-vous pas ? s’écria Lionel en marchant sur eux. Ne sais-tu pas, lâche vieillard qui n’a pas tué l’amant de ta femme, que ta bru est la fille de mon père et que la fille de mon père s’est donnée à moi ?

— Alix ! s’écrièrent ensemble le vieillard et Ermessinde, Alix ! »

Ermessinde tomba par terre évanouie ; mais le vieux Hugues, retrouvant quelque force dans sa colère, s’élança sur Lionel et le saisit en criant :

« — À moi !… à moi ! mes hommes d’armes, à moi ! mort à Lionel ! mort à l’infâme ! mort à l’inceste ! »

Lionel, dont la raison chancelait sous le choc de cette horrible révélation, repoussa violemment le vieillard, qui alla tomber à côté d’Ermessinde, et, la tête perdue, il s’élança hors de cette chambre. Il franchit les longs corridors qui l’avaient conduit chez son père ; il arriva ainsi, pâle, glacé, tremblant, jusque dans la grande salle, où devait l’attendre Alix.

« — Tu as été bien longtemps ! » s’écria une voix près de lui.

Lionel se retourna, et, à la lueur des éclairs qui se succédaient avec rapidité, il vit sa sœur Alix devant lui.

« — Quel crime viens-tu de commettre aussi ? s’écria-t-elle en l’entendant frissonner et trembler.

— Adultère et inceste ! lui répondit Lionel en la repoussant, tandis que l’orage éclatait dans toute sa fureur.

— Que dis-tu ? répondit Alix ; as-tu oublié que je t’attendais ?

— Suis-moi donc, si tu l’oses, répondit Lionel… femme de Gérard !

— Je ne le suis plus, dit-elle en poussant la porte du pied et en montrant le misérable égorgé dans son lit.

— Ah ! un meurtre aussi ! dit Lionel en reculant.

— Il commençait à s’éveiller, et je t’attendais !

— Suis-moi donc, si tu l’oses, reprit Lionel, dont la raison était perdue ; fille de Zizuli, veuve adultère de Gérard de Roquemure, tu es la fiancée incestueuse du fils de Zizuli. »

Et, soit que tous deux répétassent avec un éclat horrible ces paroles fatales, soit qu’une voix infernale les prononçât à côté d’eux, il sembla un moment que tous les échos du château de Roquemure fissent retentir les mots adultère, meurtre et inceste. Alors Lionel s’enfuit. En traversant le vaste préau qui séparait cette salle de la porte d’entrée, il entendit hennir les chevaux au bruit de son armure. Quoique Lionel eût hâte de fuir, et de fuir rapidement, il passa ; mais à la porte du château il aperçut, tenue par un page, une rapide haquenée, une superbe cavale qu’Alix avait fait préparer pour sa fuite. Par un mouvement instinctif, il s’empara de la bride et s’élança sur la cavale ; puis la herse se leva, et il sortit du château n’ayant d’autre but que d’en sortir, et sans