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« — Relevez-vous, Madame, et ne pleurez pas. Lionel de Roquemure vous protége maintenant.

— Maintenant que tu as voulu savoir pourquoi je te haïssais, dit le vieillard, il n’y a plus ici de Lionel de Roquemure.

— Tu as raison, vieillard ! garde ton nom, je rougis de l’avoir porté. »

Le vieillard sourit avec mépris.

« — Oh ! ne ris pas, sire Hugues de Roquemure, reprit Lionel ; à chacun ce qui lui appartient. Il y avait tout à l’heure ici un jeune homme qui avait étendu son épée sur la famille de Roquemure, et l’éclat qui jaillissait de cette épée était si vif que personne ne pensait à regarder au delà, que personne ne savait que ce nom était tombé aux mains d’un vieillard sans force et d’un idiot sans courage. Maintenant qu’il n’est plus à lui ce nom, le bâtard retire son épée pour en soutenir sa marche, car il n’a plus que son épée pour appui, et il laisse les regards des hommes arriver jusqu’à vous. Qu’il en soit donc comme tu l’as dit, sire de Roquemure ! tu reprends ton nom, je reprends ma gloire. Je suis content du partage.

— Et cette gloire si haute, à quel nom l’attacheras-tu pour la porter ?

— À celui que je me ferai.

— Que ne prends-tu celui de ton père ? tu en pourrais soutenir l’éclat.

— Quel qu’il soit, il devait être noblement porté, puisque celui qui n’a pu me le léguer a pu toucher le cœur de ma mère.

— C’était un noble et riche aventurier, en effet, ce magnifique Génois, qui plaisait aux femmes par sa beauté et qui leur laissait le déshonneur pour adieu.

— Un Génois ! un Génois !… répéta Lionel avec un affreux pressentiment ; puis il ajouta d’une voix entrecoupée : Et son nom ?… son nom ?…

— Prends-le, Lionel, il a une haute renommée de bassesse, de crimes et de beauté ; prends-le, et beaucoup de femmes encore se donneront au beau Zizuli.

— Zizuli ! » s’écria Lionel avec un éclat qui fit retentir tout le château.

Hugues en fut stupéfait, Ermessinde se releva comme au rugissement d’une bête féroce :

« — Zizuli ! Zizuli ! » répéta Lionel en regardant tour à tour sa mère et le vieillard.

Hugues, heureux de l’affreux désespoir de Lionel, en jouissait sans cependant en comprendre le motif. Et, s’adressant alors à Ermessinde, il lui dit avec un rire cruel :

« — Regarde, Ermessinde, où mène l’adultère !

— Tu ne le sais pas, Hugues ? dit Lionel en s’approchant de lui ; tu crois qu’il ne mène qu’à la douleur, au désespoir, à la folie ? Tu te trompes, il mène à l’inceste ! »

Hugues et Ermessinde reculèrent avec épouvante.