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XLI

TROISIÈME ACTE.

— Donc, reprit le poëte, ceci serait la fin de notre second acte.

— Soit, dit Satan ; alors nous commençons le troisième au moment où Lionel, après avoir pris toutes les mesures nécessaires pour forcer Alix à le suivre, se rendit au milieu de la nuit chez le vieux Hugues. Pendant le temps qui s’était écoulé dans cette infernale obscurité, un affreux orage s’était levé et il grondait au dehors et au dedans avec d’horribles éclairs et d’affreux roulements. De son côté, Ermessinde s’était rendue chez son mari et lui faisait le récit de la scène qu’elle avait eue avec son fils. Ermessinde ne parlait cependant que de la soumission du jeune homme ; elle espérait attendrir Hugues en lui disant que l’amour de Lionel était bien faible, puisqu’il avait opposé si peu de résistance aux désirs de son père, et qu’il y avait peu de danger à le laisser près d’Alix, surtout à un moment où il serait plus souvent en campagne et la lance au poing qu’au château.

« — Oh ! c’est là qu’est le danger, Ermessinde, répondit le vieillard ; car les femmes sont ainsi faites, qu’elles se laissent prendre par celui qui vit tous ses jours et toutes les heures de ses jours à leurs genoux, prêt à obéir à la moindre parole, esclave du caprice le plus fugitif, du désir le plus extravagant, valet attentif qu’elles récompensent de leur amour, ne pouvant le payer avec de l’or ; ou bien elles se donnent à l’homme qui les regarde à peine, à l’homme qui a placé son ambition plus haut qu’elles ; et un soir qu’il rentre au château tout couvert de sang et de poussière, l’œil flamboyant des restes d’une victoire, porté par les cris de triomphe de ses soldats, elles s’enivrent de sa vue et lui ouvrent leurs bras pour le reposer sur leur sein d’une si noble fatigue. Et voilà ce qui arriverait à Alix un soir où le mari dormirait ivre sur son lit et où l’amant passerait le front haut devant la porte de l’épouse délaissée. Cela n’a-t-il pas été à peu près ainsi, Ermessinde ? » Ermessinde garda encore le silence, puis finit par dire :

« — Que votre volonté soit faite, seigneur ! il obéira. »

À ce moment la porte de la chambre s’ouvrit, et Lionel parut ; il s’arrêta à l’aspect de sa mère, qu’il ne pensait pas trouver chez le vieillard.