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« — Votre noble époux vous a-t-il donc chassée de son lit, que je vous trouve au milieu de la nuit dans cette salle glacée ? »

À cette parole, Alix, une heure auparavant, aurait répondu par quelque jactance insultante ; mais à ce moment elle était tout à fait vaincue, et elle répondit en se tordant les bras :

« — Oui, il m’a chassée. »

Lorsque Lionel adressa à Alix cette dure parole, il avait cru la blesser par une supposition humiliante. Dès que cette supposition se trouva vraie, il comprit que ses paroles n’étaient plus un sarcasme, mais une brutale grossièreté.

« — Chassée ! s’écria-t-il.

— Oui, chassée ! répéta Alix ; chassée avec mépris, insultée, frappée, parce que… »

Elle s’arrêta et se remit à pleurer. La pitié, le ressentiment, l’amour, luttaient dans le cœur de Lionel ; mais la colère l’emporta. Il avait tant aimé cette femme, il lui en voulait tant d’être descendue si bas, lui qui, en son cœur, l’avait mise si haut ; le malheur auquel elle s’était livrée lui rappelait si cruellement le bonheur qu’il lui eût donné, qu’il ne put lui adresser un mot de consolation. Il lui répondit amèrement :

« — Nos destinées n’ont pas été unies, Alix, mais elles se ressemblent ; celui qui devrait vous adorer vous maltraite, comme celui qui devrait me bénir me maudit. Vous êtes chassée de cette chambre, et moi chassé de ce château.

— Vous ! s’écria Alix avec effroi, vous quittez cette maison ?

— Demain.

— Et qui me protégera donc ici ? » dit Alix avec désespoir.

Lionel sentit son cœur prêt à s’ouvrir au pardon. Cet appel, fait avec tout l’abandon de la douleur, l’eût touché sans doute pour toute autre femme, mais Alix avait été trop coupable envers lui, et il se contenta de répondre :

« — N’avez-vous pas choisi un protecteur qui ne quittera pas ce château ? »

À cette froide réponse Alix reprit toute sa fierté.

« — Messire, dit-elle, oubliez que vous m’avez trouvée ici pleurant et gémissant, et j’oublierai que je vous y ai rencontré brutal et sans respect envers une femme qui pleurait. »

Ce reproche alla droit à l’orgueil de Lionel. C’était ce sentiment qui l’avait rendu si implacable, ce fut ce sentiment qui le fit soudainement changer de langage. Lionel ne voulait pas qu’on pût dire qu’une femme en pleurs, quelle qu’elle fût, l’avait imploré et qu’il l’avait repoussée. Il dit donc à Alix après un moment de silence :

« — J’oublierai tout, Madame, excepté ce que vous me dites d’oublier ; j’oublierai le passé, où j’avais tant de raisons de vous