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ç’avait été une rude journée pour ce vieillard auquel il ne restait d’autre force que celle d’une volonté inflexible.

— Ps, ps, ps, ps ! fit le poëte en interrompant encore le conteur, voilà qui manque tout à fait d’habileté : la pièce est finie, on connaît le mystère de la haine de Hugues, on sait l’amour de Lionel et d’Alix, la curiosité est satisfaite, le public s’en va ou bien il siffle, c’est une œuvre manquée.

— Mais il me semble, repartit Satan, qu’il reste maintenant le développement de ces passions.

— Le développement des passions, repartit le dramaturge, quelque chose dans le style de Zaïre et de Phèdre ? Il y a longtemps que le dix-septième et le dix-huitième siècle ont fait le cadastre parcellaire du cœur humain. D’ailleurs, mon cher collaborateur (car, si je fais ce drame, vous serez mon collaborateur, je mettrai mon nom à la pièce et vous aurez le quart des droits), quelle couleur historique, je vous prie, peut avoir le développement d’une passion ?

— La couleur historique dans un drame ne me paraît pas une nécessité de premier ordre, dit Luizzi.

— Oh ! alors, reprit le poëte, nous retombons dans la tragédie admirative ou plaintive, ce qui est l’ennui en vers.

— Pardon ! Messieurs, fit le narrateur, je crois que vous avez tort tous les deux. La passion peut avoir une couleur historique, car la passion procède en vertu des mœurs d’une époque et en reçoit un cachet particulier. Il y a loin d’un rude Normand du moyen âge prenant tout par l’épée à un raffiné du temps de Louis XIII farci de galanterie espagnole et de madrigaux ; il y a loin d’un roué de la régence faisant de l’orgie en dentelles à un hussard de l’empire faisant sa cour la cravache à la main.

— C’est possible, dit le baron, mais, à part le développement de la passion et la couleur historique, il y a un dénoûment à cette histoire, et c’est surtout ce que je désire savoir.

— Voyons ! ajouta le poëte, à défaut de drame, il y a peut-être là-dedans une nouvelle.

— Je continue, reprit le narrateur, et j’espère que ce dénoûment vous prouvera que les passions ont une couleur historique, et qu’à part les développements elles procèdent en vertu de leur siècle et de ses mœurs.

Il poursuivit :

— Ermessinde était donc demeurée seule. L’exigence de son mari, à laquelle elle avait cédé si facilement tandis qu’il la tenait accablée sous le poids de ses cruels souvenirs, lui sembla épouvantable du moment qu’il fallait la faire subir à son fils. Que dirait-elle à Lionel pour que cet exil de la maison paternelle ne semblât pas à ce jeune homme le caprice odieux d’une tyrannie insupportable ?

— Elle pouvait lui avouer la vérité, dit le poëte.

— Oh ! non, Monsieur, s’écria le conteur, il y a des pudeurs maternelles