Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/322

Cette page n’a pas encore été corrigée

sortit, après avoir jeté à Lionel un regard de bravade insultante. Lionel était resté les yeux fixés sur la porte de la chambre où Alix venait d’entrer, tandis que sire Hugues examinait la pâleur livide du visage de son jeune fils et la contraction de ses lèvres. Le vieillard ne quitta pas sa place, il ne fit ni un signe ni un geste, mais quelqu’un qui eût été près de lui aurait pu l’entendre murmurer sourdement :

« — Oh ! c’est vrai. »

Un moment après, et comme s’il eût obéi à la pensée qui venait de le faire parler, il ordonna à tous les serviteurs de se retirer. Lionel et Ermessinde étant demeurés seuls avec Hugues, celui-ci dit à son fils :

« — Retirez-vous, Lionel, votre mère aura à vous parler tout à l’heure. »

Lionel sortit, et Ermessinde se trouva seule en présence de son mari. On eût dit que c’était chose rare et redoutable pour elle, car elle avait à la fois l’air étonné et tremblant. Hugues n’eut pas plutôt entendu s’affaiblir au loin le bruit des pas de ceux qui se retiraient, que, montrant l’endroit par où Lionel était sorti, il s’écria avec violence :

« — Il faut qu’il quitte le château demain.

— Qui ?… Lionel ?

— Demain, avant le lever du soleil.

— Lionel ! répéta Ermessinde avec épouvante.

— Et maudit soit le jour où il y est rentré, comme celui où il y est né ! » dit Hugues en éclatant.

Ermessinde baissa la tête, tandis que le vieillard s’agitait avec colère et frappait la terre du pied. Ermessinde semblait anéantie. Enfin elle se hasarda à dire timidement :

« — Mais qu’a-t-il fait pour être traité si sévèrement ? »

Hugues ne répondit pas, et, son silence enhardissant Ermessinde, elle reprit avec plus de confiance :

« — Est-ce sa faute s’il a été le témoin d’une scène qui n’arrive que trop souvent dans cette maison ?

— Non, répondit le vieillard amèrement, mais je ne veux pas que cette maison revoie une scène plus honteuse.

— Je ne vous comprends pas, repartit Ermessinde.

— Mère de Lionel ! s’écria Hugues d’une voix tonnante, tu ne me comprends pas ? »

Ermessinde baissa encore une fois la tête et répondit en balbutiant :

« — Je n’ai rien oublié du passé, seigneur ; mais je ne sais ce que vous prévoyez dans l’avenir.

— Écoute-moi donc, Ermessinde, dit le vieillard en se radoucissant : tu as flétri ma vieillesse et tu as mis dans mon âme le désespoir d’une injure que je n’ai pu venger, mais je t’ai rendue bien malheureuse. Voilà vingt-deux