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faisait allusion au nom des sires de Roquemure, et que c’était un amer avertissement du danger auquel l’exposait la conduite déréglée de Gérard. Hugues lança à son jeune fils un regard de haine, tandis qu’Ermessinde faisait servir le souper pour distraire l’attention de chacun, et qu’Alix essuyait une larme de dépit. Pendant ce temps, Gérard allait de çà, de là, tenant à haute voix des propos dissolus aux belles filles qui servaient dans cette noble maison. Hugues se taisait et supportait toutes ces insolences avec patience, ne voulant pas donner un blâme au fils de sa prédilection devant Ermessinde et Lionel. Enfin, le repas étant servi, chacun y prit place ; Gérard s’y assit, quoiqu’il n’en eût certes pas besoin, et, au bout de quelques minutes, il s’endormit la tête appuyée sur la table. Durant tout le repas, Lionel s’occupa attentivement de sa mère, tandis qu’Alix, rouge de honte et d’indignation, dévorait silencieusement ses larmes. Lorsqu’il fut temps de se retirer, Hugues se leva et fit un signe que comprirent trois ou quatre valets pour lesquels sans doute cet ordre muet n’était pas nouveau : ils s’emparèrent de Gérard et se mirent en devoir de le transporter hors de la salle. Hugues leur désigna une porte du doigt, c’était la porte qui menait à la chambre d’Alix. Celle-ci, absorbée dans le sentiment de son humiliation, n’avait rien vu de ce qui s’était passé ; mais, au moment où les valets furent prêts à franchir la porte qui conduisait dans son appartement, elle se leva soudainement et s’écria avec violence :

« — Pas chez moi, pas chez moi ! portez-le aux étables ! »

Le vieil Hugues la regarda de travers.

« — Votre mari ! lui dit-il, votre mari !

— Un homme ivre ! » répondit-elle avec une expression insurmontable de dégoût.

Et elle se leva pour sortir.

Ermessinde et Lionel se trouvaient sur son passage. La première essaya de lui parler pour la calmer ; mais Alix, la repoussant, lui dit avec colère :

« — Laissez-moi, laissez-moi, vous et votre fils ! »

Peut-être Alix voulait-elle parler de Lionel ; mais celui-ci, qui n’avait pas fait un geste, crut qu’il s’agissait de Gérard, et repartit :

« — Son fils, il ne l’est pas, Madame. »

À cette parole, et comme si le son de la voix de Lionel, s’adressant à elle pour la première fois, eût opéré en elle une révolution imprévue, Alix se retourna et dit aux valets :

« — Mon père a raison, c’est mon mari, et l’amour doit excuser une faute si légère. Venez par ici. »

Les valets obéirent, elle les laissa passer devant elle ; puis elle