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Elle mettait ce ruban, Eugénie quittait le sien, et, le soir venu, Alfred mécontent disait tout bas à Sylvie, de manière cependant à être entendu d’Eugénie et en lui jetant un regard de reproche :

« — Vous êtes bonne et aimable, vous ! vous n’avez pas peur de mettre ce qui me plaît. »

L’heure des confidences arrivée, Sylvie disait à Eugénie :

« — Vous voyez comme il m’a remerciée d’avoir mis un ruban noir ! oh ! bien certainement, il m’aime. »

L’écho du cœur d’Eugénie répétait : Il m’aime. Et c’était un étrange spectacle que cette jeune fille si naïve, si ignorante, avertissant sa rivale de tout ce qu’on lui adressait d’hommages et faisant l’aveu d’un amour que sans tout cela elle n’aurait peut-être pas su comprendre. Le déplaisir qu’Eugénie éprouvait de se trouver la confidente de Sylvie et la manière froide dont elle accueillait les aveux de cette enfant ne pouvaient imposer silence à cette jeune passion. Malgré tous ses efforts, elle était obligée d’en entendre sans cesse parler, et comme un jour elle avait dit à Sylvie que sa mère lui en voudrait peut-être si elle apprenait qu’elle l’aidât à nourrir un amour qu’elle n’approuvait pas, Sylvie lui répondit aussitôt :

« — Oh ! ma mère le sait, et elle ne m’en veut pas ; Alfred est un si honnête jeune homme, si respectueux, si bien élevé ! C’est ma mère qui m’a dit tout cela, et certainement on l’acceptera le jour où il me demandera en mariage. »

Tous les mots de cette enfant portaient coup à Eugénie ; ce mot « mariage » lui fut bien douloureux. Pouvait-elle se marier elle, pauvre fille perdue ? Et, à supposer que l’amour d’Alfred fût aussi sincère qu’elle devait le croire d’après ce qu’on lui disait d’un amour pur, ne devait-elle pas y renoncer ? Et vois comme la passion est ingénieuse à s’introduire dans le cœur ! Du moment qu’Eugénie s’imagina qu’on la trouvait indigne d’être aimée, elle souffrit de l’idée de ne pas l’être, et cet amour d’Alfred qu’elle craignait de voir grandir, elle craignit de le perdre. Alors elle douta, elle voulut savoir si elle aussi n’était pas prise comme Sylvie d’un fol aveuglement, et elle évita l’approche d’Alfred, non plus pour le fuir, mais pour l’éprouver. Il la poursuivit avec la même adresse et la même persévérance. Il arrivait près d’elle par mille moyens que je ne puis te dire. Eugénie le suivait avec anxiété dans toutes ces petites manœuvres, et, lorsqu’il avait réussi et qu’elle ne pouvait plus douter qu’il fût heureux d’être auprès d’elle, elle était heureuse d’être auprès de lui. Elle lui était reconnaissante de l’aimer malgré sa faute comme s’il l’avait connue, et elle s’endormait quelquefois en rêvant le bonheur, car