Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/316

Cette page n’a pas encore été corrigée

« — Et voilà les défenseurs du château de Roquemure, des hommes qui s’assoient pour écouter un prêtre ! Et pas un chef à tout cela !

— Me voici, mon père ! » dit Lionel en s’avançant.

Le vieillard le regarda longtemps sans lui parler ; il le mesura de la tête aux pieds, en contenant à grand’peine l’agitation qui semblait s’être emparée de lui. Après cet examen, il se détourna, alla s’asseoir sur l’un des bancs latéraux qui étaient de chaque côté de l’immense foyer qui brûlait à l’une des extrémités de cette salle, malgré la saison avancée, et fit signe à Lionel de s’approcher. Celui-ci était debout, et sa mère, placée en face de lui à côté du vieillard, le suppliait du regard de se contenir ; car le visage enflammé du jeune homme montrait combien il était irrité de l’accueil qui lui était fait.

« — Vous êtes arrivé bien tard ! dit Hugues à son fils.

— Je suis arrivé avant le danger, répondit Lionel en se croisant les bras.

— Peut-être le danger ne fût-il pas venu si vous vous étiez rendu plus tôt à mes ordres.

— Ma présence n’eût point sans doute empêché mon frère Gérard de courir les nuits sur les terres des sires de Malize et d’y enlever les filles et le bétail des vassaux ; car c’est là ce qui a appelé le danger.

— Qui vous a dit ces mensonges ? s’écria le vieillard irrité.

— Les plaintes des sires de Malize, arrivées jusqu’au roi Philippe-Auguste.

— Et vous tenez pour justes les plaintes de vos ennemis ?

— Je leur ai dit devant le roi qu’ils en avaient menti ; mais, devant vous, mon père, je dois avouer qu’ils ont raison.

— Est-ce donc pour les soutenir que vous êtes venu ici ?

— Je suis venu ici pour les combattre ; et ils ne toucheront pas une pierre de ce château tant que je serai debout entre eux et ses remparts.

— Voilà qui est bien ! dit Hugues avec un sourire amer de satisfaction. Mais, reprit-il en suivant attentivement de l’œil l’effet de ses questions, depuis quatre ans que vous avez quitté ce château, qu’avez-vous fait que vous n’ayez pas trouvé un moment pour revenir en ce lieu ?

— Je suis allé en Aquitaine, et j’y ai combattu, pour la cause des nobles Gascons, contre Richard Cœur de Lion. Je l’ai trois fois rencontré dans les combats, et trois fois nous avons rompu notre lance l’un contre l’autre, sans qu’il ait plié d’un pouce, sans que j’aie reculé d’une ligne.

— Je le sais ; mais vous n’êtes pas toujours resté en Aquitaine ?

— L’année d’après, j’étais devant Rouen avec le roi Henri VII, et j’ai deux fois gravi le rempart, sans autre aide que mon épée.

— Je le sais ; mais, après, où êtes-vous allé ?

— J’ai été dans le Berri au moment où le roi d’Angleterre, Henri II, s’en est emparé par trahison, et j’ai combattu contre lui.

— Je le sais, et