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le récit du Diable, car je commence à comprendre…

— Comment un aparté ? dit Armand, qui avait complètement oublié le point de départ de l’histoire vis-à-vis du poëte.

— Monsieur fait son drame, reprit Satan…

— Ah ! très-bien, repartit le baron ; en ce cas, continuez votre récit.

— Hé ! hé ! il vous intéresse donc ? dit le Diable en guignant Luizzi d’un air moqueur.

— Oui, je suis curieux d’en savoir le dénoûment.

— Hé ! la ! la ! fit Satan, nous n’en sommes encore qu’à la seconde scène du premier acte.

— Allons donc !

Le Diable reprit :

— Lionel ne remarqua point le trouble de sa mère, qui, entendant tout à coup un grand bruit vers la principale porte d’entrée, frappa dans ses mains. Tout le monde rentra, et Ermessinde dit tout bas à Lionel :

« — Il est inutile que sire Hugues sache que je t’ai entretenu en secret. Sois calme surtout. »

Lionel, qui s’était assis aux genoux de sa mère, se releva aussitôt en secouant sa longue chevelure brune avec un vif mouvement de tête. Sa taille haute et svelte, sa douce pâleur, l’élégance de ses membres presque menus, n’eussent pas fait deviner la vigueur du soldat, si l’agilité aisée de sa marche et sa prestance ne l’eussent attestée ; car la grâce dans un homme c’est la force.

— Grâce et force impliquent contradiction, dit le poëte, mais c’est égal, continuez ; le père, sire Hugues arrivait, dites-vous ?

— Oui, reprit le Diable. C’était un grand vieillard avec une forêt de cheveux blancs en désordre, la lèvre pendante, l’œil chassieux, très-voûté, marchant avec peine, et se soutenant sur un long bâton. En franchissant le seuil de la salle, il jeta un regard rapide sur tous ceux qui s’y trouvaient et s’écria vivement :

« — Que fait ici cette paille ?

— C’était pour asseoir les pages et les filles autour du père Audoin, dit Ermessinde.

— Ne peuvent-ils l’écouter debout ? Ils se parleraient d’amour et de danse toute une journée sans penser à s’asseoir ; mais, quand c’est la parole d’un vieillard qu’il faut écouter, on ne saurait trop se mettre à l’aise, n’est-ce pas, Madame ? car la parole d’un vieillard est bien fatigante. »

Ermessinde voulut répondre, mais le vieux Hugues s’écria :

« — Remettez cette paille aux aires. Le jour n’est pas loin peut-être où, enfermés tous ici par les lances des Malize, vous serez trop heureux de la trouver pour calmer votre faim. »

Hommes et femmes obéirent en silence, tandis que le vieillard grommelait avec fureur :