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« — Bénissez-moi. »

Ermessinde tendit les mains sur la tête de son fils en le contemplant, mais sans pouvoir parler. Puis elle fit signe à tout le monde de se retirer. À peine fut-elle seule avec Lionel, qu’elle le releva et l’embrassa, regardant combien il était beau, combien il avait grandi, et s’alarmant de le voir si pâle : tout cela en une minute. Puis les paroles se firent jour avec les larmes, et elle s’écria :

« — Oh ! te voilà enfin ! »

De son côté, son fils avait regardé sa mère avec une attention triste et pleine de tendresse, et, au lieu de répondre au mouvement de joie de sa mère, il lui dit :

« — C’est donc toujours la même chose, toujours des larmes ici, et toujours pour vous ?

— Je pleure de joie en te revoyant.

— Oh ! non, ma mère, vous pleurez tous les jours. Les larmes de joie ne creusent pas les yeux et ne flétrissent pas si vite.

— Ne parle pas de moi, Lionel, mais de toi. Tu me raconteras, n’est-ce pas, tout ce que tu as fait depuis quatre ans d’absence ?

— Je vous le dirai, et à mon père aussi.

— Oui, mais d’abord assieds-toi là, et écoute-moi, maintenant que tu es un homme, car tu as vingt-deux ans. Si mon mari… si ton père ne t’ouvre pas les bras avec la même tendresse que moi, ne te montre pas trop irrité de ce froid accueil. Tu as vécu à la cour des princes, parmi des hommes de toute sorte, et tu sais qu’il faut savoir souvent cacher au fond de son âme le mécontentement qu’on éprouve.

— Oui, ma mère, répondit Lionel, j’ai vécu dans beaucoup de contrées depuis que je vous ai quittée, mais partout j’ai vu les pères aimer leurs enfants quand ceux-ci n’avaient pas démérité de leur sang.

— Oui, tu as raison, Lionel, reprit tristement Ermessinde, et cependant, je t’en prie, sois soumis envers lui et souffre ses paroles, quelque sévères qu’elles puissent être.

— M’a-t-il donc rappelé auprès de lui pour me faire subir, comme autrefois, tous les mauvais traitements et toutes les humiliations ?

— Il t’a rappelé parce qu’il a besoin de toi. Les sires de Malize, cette race turbulente et vindicative, ne laissent point passer une saison sans lui donner de graves sujets de plainte.

— Et mon père se plaint ? dit amèrement Lionel.

— Ton père a quatre-vingt-quatre ans, et le poids d’une armure est lourd à cet âge.

— Eh ! n’a-t-il pas son fils aîné, mon noble frère Gérard, son fils chéri, pour le défendre ?

— Pourquoi railler ainsi, Lionel ? Ton frère Gérard est né faible, petit, malade, estropié…

— Il est né surtout lâche, bas et menteur, ma mère… Ah ! je ne comprends pas que lui et moi nous soyons du même sang. »

Ermessinde rougit à cette exclamation de Lionel…

— Ceci peut se remplacer par un aparté, dit le poëte en interrompant