Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/313

Cette page n’a pas encore été corrigée

ponts-levis crièrent dans leurs poulies de fer.

— Très-bien, dit le poëte ; il y aurait ici matière à quelques vers dits par l’une de ces femmes :


Dans les anneaux de fer j’entends grincer la chaîne,

Le pont-levis se baisse et la herse de chêne

Se lève…


Il y a là un contraste assez pittoresque : se baisse, se lève, cela ne serait pas mal. Continuez, fit le poëte en essuyant ses lèvres avec sa langue, comme pour y savourer le miel poétique qu’il venait d’en laisser couler.

Le Diable reprit :

— Ni l’une ni l’autre de ces femmes ne dirent cela. Mais Ermessinde, se levant soudainement, s’écria tout haut : C’est lui ! Et Alix jeta un regard rapide du côté de la porte et laissa échapper de sa poitrine un soupir profond. Ceci dit encore suffisamment qu’Ermessinde avait le droit de se féliciter tout haut de l’arrivée du nouveau venu, et qu’Alix ne le devait pas, malgré l’anxiété et le trouble qu’elle semblait en éprouver. Ces sentiments devaient être bien puissants en elle, car elle se leva tout aussitôt et dit à Ermessinde :

« — Je me retire, Madame. Je ne veux pas gêner, par ma présence, l’entrevue d’une mère et de son fils après quatre ans d’absence. Vous m’excuserez auprès du sire Lionel de Roquemure, mon frère.

— Allez, » répondit Ermessinde ; et elle suivit Alix du regard en se disant à elle-même…

Le poëte interrompant :


— Elle hait donc mon fils, qu’elle fuit quand il vient ?

Peut-être l’aime-t-elle, et qu’en son âme en peine

L’amour en se cachant prend l’aspect de la haine ?


Puis il ajouta :

— Ceci poserait assez bien l’action.

— Sans doute, mais Ermessinde ne se dit point cela, reprit le Diable, attendu que son fils avait quitté le château de Roquemure depuis quatre ans, qu’Alix ne l’habitait que depuis un an, et qu’elle n’avait aucune raison de croire qu’ils se fussent connus avant ce temps et qu’ils pussent s’aimer ou se haïr ; mais elle se dit en voyant sortir Alix :

« — Elle n’est pas heureuse non plus ; elle a trop soin de mon bonheur pour cela. Les gens heureux sont plus égoïstes. »

Un moment après, Lionel entra dans la grande salle, et, se mettant à genoux devant sa mère, il lui dit selon la coutume :