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recueillement la paraphrase que le clerc faisait des versets de la Bible, car il en expliquait une des parties les plus intéressantes. Il faisait la classification des démons et enseignait leurs diverses attributions. Tout le monde écoutait, si ce n’est Ermessinde et Alix, dont les regards, sans cesse fixés vers l’extérieur, disaient suffisamment que leur pensée était ailleurs que dans cette salle. Elles attendaient assurément la venue de quelqu’un, car elles tournaient toutes deux la tête au plus léger bruit partant de l’autre côté du préau qui s’étendait de cette vaste salle jusqu’à la tour, où se trouvait l’entrée principale du château de Roquemure.

Depuis deux heures duraient ensemble les commentaires du clerc, l’attention des assistants et la distraction des deux dames. Cependant, la faconde du commentateur s’épuisa avant l’attention de ses auditeurs : trait bien caractéristique de cette époque reculée et qui lui donne une couleur très-originale ! Bientôt un silence profond régna dans la salle. Nul des subalternes qui étaient assemblés autour de leur maîtresse ne se permit ni de commenter le commentateur ni de se moquer de lui : autre trait grandement caractéristique et original ! La seule chose qui restât de l’invariable couleur humaine, c’était l’impatience mal déguisée des deux femmes ; elles brouillaient à tout moment la laine écarlate qu’elles filaient l’une et l’autre : seulement Ermessinde tentait patiemment de dénouer la sienne et s’arrêtait dans une distraction complète, après un travail auquel elle ne prêtait pas une grande attention, tandis qu’Alix rompait vivement ses fils et les rattachait au hasard sans s’inquiéter des nœuds dont elle hérissait son travail. Tout le caractère de ces deux femmes était dans cette très-petite action : une résignation fatiguée d’un côté, une impatience colère et imprévoyante de l’autre.

Cependant le soleil se dessinait au sommet de la tour d’entrée qui était vers le couchant et il était prêt à abandonner les créneaux les plus élevés, lorsque Ermessinde, qui s’en aperçut, dit tout bas à Alix :

« — Il se fait tard, ma fille, et votre mari ne rentre pas.

— Ni le mien ni le vôtre, dit Alix. Les attendiez-vous si tôt ?

— Non, répondit Ermessinde, ils ont dit qu’ils ne rentreraient que deux heures après le soleil couché.

— C’est vrai, ajouta Alix, je l’avais oublié. »

Ce n’était donc pas leur mari que ces deux femmes attendaient.

— Très-bien ! fit le poëte ; ceci ne manquerait pas de grâce dans une exposition.

— N’est-ce pas ? fit le diable ; puis il continua : À peine avaient-elles prononcé ces paroles, qu’un grand bruit se fit entendre à la porte d’entrée et que les chaînes des herses et des