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TRAGÉDIE OU DRAME HISTORIQUE

PREMIER ACTE.

Un jour du mois de mai 1179, une heure à peu près avant la nuit, dans la grande salle du château de Roquemure, étaient assises deux femmes. L’une était âgée de quarante ans à peu près et d’une taille élevée ; la maigreur et la pâleur de son visage attestaient une âme malade et une santé délabrée ; il y avait dans ses yeux une ardeur triste, et dans ses moindres mouvements une lenteur fatiguée. Cette femme avait dû être fort belle. À travers l’affaissement physique et moral sous lequel elle semblait plier, on voyait percer les restes d’une vigueur peu commune et d’un caractère très-décidé. On devinait, en la voyant, que cette femme devait avoir dans le cœur une grande douleur ou un grand remords. À côté d’elle était assise une jeune femme blonde, grande, mince, d’une blancheur rosée ; ses yeux, d’un gris bleu, chatoyaient avec une expression de désir hardi et volontaire toutes les fois qu’elle ne les tenait pas voilés sous sa longue paupière ; ses longs cheveux avaient à leur naissance cette ondulation pressée qui, selon quelques-uns, atteste l’ardeur du sang et la soif des voluptés. La première de ces deux femmes était Ermessinde de Roquemure, mariée à seize ans au vieux sire Hugues de Roquemure, qui en avait déjà plus de soixante à l’époque de ce mariage. La seconde était Alix de Roquemure, mariée depuis un an à peine à Gérard de Roquemure, fils de Hugues et de sa première femme, Blanche de Virelei.

À quelques pas de ces deux femmes était un homme debout devant un pupitre sur lequel un livre était ouvert. Il lisait de temps à autre quelques lignes qu’il commentait et expliquait ensuite à une vingtaine d’hommes et de femmes assis autour de la salle sur des gerbes de paille battue ; car il n’y avait d’autres siéges mobiles dans cette salle que ceux occupés par Alix et par Ermessinde, et, si les auditeurs avaient voulu s’asseoir sur les bancs qui tenaient à la boiserie adhérente au mur, ils n’auraient pu entendre le vénérable Audoin, dont la voix affaiblie par la vieillesse n’eût point suffi à remplir cette immense salle. Chacun écoutait dans un saint