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à son coquin de neveu : c’est vieux et inutile, et je m’en passe. La seule chose qui puisse être encore dramatique, ce sont les scènes enfouies dans nos vieilles chroniques et dans nos légendes.

Il sembla à Luizzi que le facta domestica d’Horace ne voulait pas dire autre chose que ce que prétendait ce monsieur, mais il le connaissait déjà assez pour comprendre qu’il méprisait Horace au même titre qu’il admirait Shakspeare. Il s’aperçut aussi que le poëte avait un certain nombre de mots dont il pavoisait les choses comme si elles changeaient de sens parce qu’il en variait l’appellation. Ainsi pour lui le fait le plus palpitant raconté par l’histoire était vieux et plat, mais la dernière niaiserie revêtue du nom de chronique lui semblait d’un prodigieux intérêt. Luizzi écoutait, tandis qu’il reprenait :

— S’il faut vous dire le véritable but de mon voyage, il n’est autre que d’étudier notre histoire nationale sur les lieux et dans les souvenirs populaires de chaque contrée, où elle est véritablement écrite avec tout son pittoresque et toutes ses vérités.

— Voilà un projet admirable ! lui dit le Diable, et vous avez sans doute commencé vos observations ?

— Oui, fit le poëte d’un air indifférent, j’en ai déjà recueilli quelques-unes.

— La place que vous avez prise sur le haut de cette voiture est excellente pour cela, dit le Diable.

La raillerie était assez grosse pour qu’elle étonnât le grand homme lui-même ; mais, ayant considéré celui qui lui parlait, il lui trouva un air si candide qu’il ne pensa pas pouvoir s’en fâcher. Satan continua :

— On voit de loin ici.

— Et de haut, repartit le poëte avec une sublime intrépidité de sottise.

— Ma foi ! je suis ravi de votre manière d’envisager l’art, repartit le Diable ; et, puisque le hasard me met en rapport avec un homme de pensée et d’intelligence, je m’estimerai trop heureux de l’aider dans sa glorieuse entreprise et de lui raconter quelques-unes des histoires singulières de ma contrée, car je suis du pays.

— Cela doit être curieux ! fit le poëte avec dédain.

— Je ne sais si l’histoire est curieuse en elle-même, mais elle est tout au moins intéressante pour certaines gens.

Le Diable prononça ces paroles en les adressant du regard au baron, qui reprit aussitôt :

— Il s’agit donc d’une histoire contemporaine ?

— Pas précisément ; mais il est telles personnes dont le nom remonte assez haut pour qu’elles écoutent certaines vieilles histoires avec un vif intérêt.

— Est-ce une légende ou une chronique ? dit le poëte en se posant en auditeur nonchalant.

— C’est une chronique, dit Satan, en ce qu’elle a des faits qui appartiennent à la vérité matérielle et