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Luizzi en recula d’épouvante. Le lendemain, les journaux du département du Loiret disaient qu’une immense clarté ayant paru à l’horizon, on avait d’abord craint l’incendie de quelque ferme, mais que les astronomes du lieu avaient facilement reconnu que cette lueur provenait d’une aurore boréale dont ils venaient d’expédier la description à l’Académie des sciences pour qu’elle pût l’enregistrer à la suite de toutes les aurores boréales observées jusqu’à ce moment.

Luizzi avait été heureusement distrait, par les diatribes du Diable, de la pensée du danger auquel la jeune mendiante allait s’exposer, et il cherchait un moyen de tenir la promesse qu’il avait faite à Léonie par son entremise, lorsqu’il entendit au loin les grelots des chevaux d’une diligence qui venait d’Orléans. Il laissa approcher la voiture et se mit à crier pour s’informer s’il y avait une place, dès qu’elle fut à portée de la voix. Contre toute probabilité, la voiture s’arrêta, et le conducteur qui était descendu dit à Armand :

— Allons, vite, là-haut, dans le cabriolet de l’impériale !

Le baron monta rapidement sur la diligence, et il s’aperçut que le Diable l’y avait précédé. Il allait sans doute chasser Satan, lorsque la troisième personne qui était dans le cabriolet dit tout haut : XXXVIII

UN POËTE ARTISTIQUE, PITTORESQUE ET MODERNE.

— Voulez-vous accepter un foulard pour vous couvrir la tête, monsieur de Luizzi ? car je vois que vous avez oublié votre chapeau à Orléans.

Le baron fut grandement étonné de s’entendre appeler par son nom. Il chercha à voir celui qui lui parlait ainsi, et il s’aperçut, à la clarté du crépuscule qui commençait à envahir l’obscurité, un jeune homme de vingt-huit à trente ans, hâve et maigre, portant une barbe en pointe, de longs cheveux mal peignés encadrant avec prétention les contours nobles, mais décharnés, d’un beau visage. Ce jeune homme, s’étant aperçu de l’attention de Luizzi, continua d’un ton tant soit peu déclamatoire :

— Vous ne me reconnaissez pas, monsieur de Luizzi ? Il n’y a pas cependant bien longtemps que nous nous sommes vus. Mais ce temps, qui n’a peut-être compté dans votre vie que pour quelques années, a presque mené la mienne à la vieillesse. La pensée,