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l’organisation sociale : c’est un métier que vingt petits déclamateurs de l’école libérale ont fait mieux que toi !

— Et c’est un métier qu’ont tué vingt mauvais déclamateurs de l’école contraire avec un mot.

— Les principes dont tu te fais le défenseur étaient bien faibles s’ils sont tombés devant un mot !

— Oh ! c’est que ce mot est tout-puissant dans ton spirituel pays, monsieur le baron !

— Et quel est ce mot ?

— C’est le mot VIEUX ! Criez à l’homme le plus en avant de son siècle : Hé ! voilà vingt ans que vous nous dites la même chose, c’est usé, c’est ennuyeux, vous rabâchez ; et celui que n’auraient pu faire taire les plus habiles, un fat le réduit au silence avec ce grand argument. C’est l’ultima ratio des sots. Vos arts, votre politique, votre philosophie, y sont soumis. Vingt ou trente ans de durée pour chaque école, voilà le maximum ; puis il en vient une nouvelle, et le plus souvent une vieille rajeunie, qui subira la même insultante proscription. Pour moi, spectateur éternel de cette exaltation et de ce mépris périodiques des mêmes idées, ne crois-tu pas que j’en doive être singulièrement assommé ?

— C’est l’effort d’une société qui veut se dégager de ses vieilles enveloppes et qui cherche une issue pour s’élancer, libre et ailée, dans un plus vaste espace.

— Tu te trompes, c’est l’extrême effort d’un cacochyme qui veut retrouver la vie. Vieux peuple usé ! vous n’avez plus un seul de ces instincts primitifs qui mènent aux grandes découvertes et révèlent au génie les nouveaux mondes de l’intelligence. Sans cesse obsédés d’un désir de changement qui prouve le malaise où vous avez mis la société, vous rebâtissez votre vie décrépite avec les débris de tout ce que vous avez renversé ; vous refaites de la religion à nouveau avec le Christ aboli par l’Être suprême, de la philosophie spiritualiste à nouveau avec Malebranche tué par Voltaire, de l’aristocratie à nouveau avec une noblesse rasée par 93, de la peinture à nouveau avec la manière rococo honteusement expulsée par le romain David ; enfin, vous, les rois de la mode, vous empruntez votre architecture, vos meubles, vos modes, à l’architecture, aux meubles et aux modes des siècles conspués il y a vingt ans. Si vous laissez naître encore quelque idée forte, c’est pour en prendre la fleur et pour lui dire ensuite : « Tu es vieille et usée, » lorsqu’elle est à peine majeure. Et vous vous croyez vigoureux au milieu de cette sénilité mal repeinte et mal mastiquée : peuple éreinté, véritable vieillard caduc, auquel il faut, ou les jeunes enfants et leur virginité avortée, ou les courtisanes surannées et leurs baisers enduits de plâtre et de vermillon. Pouah !

Et, avec cette dernière exclamation, le Diable jeta autour de lui un si prodigieux nuage de fumée rougeâtre et flamboyante, que