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pas la rigoureuse surveillance de ces maisons.

— Oh ! fit la mendiante, qui était déjà à quelques pas de Luizzi, j’y ai pensé tout en courant après vous, et j’ai trouvé un moyen.

— Lequel ?

— Je volerai.

Elle disparut, et le Diable, lâchant une immense bouffée de tabac, reprit, tandis que Luizzi restait stupéfait de cette naïve réponse :

— Alors il s’assemblera douze hommes : d’abord un charcutier dont toutes les idées de morale se bornent à savoir qu’il ne faut pas que les passants décrochent sans payer les saucisses pendues à sa porte ; avec lui un maquignon qui a appris par expérience que c’est avec le fouet et les corrections qu’on soumet les animaux vicieux ; ajoutez-y un phrénologue, qui trouvera un chapitre concluant en faveur de la prédestination au vol dans l’action de cette enfant ; flanque-les d’un marchand de dragées qui sera ravi de dire, en rentrant, à sa petite fille qui a quatre ans et qui lui chipe des sucreries : « Si tu n’es pas sage, je te condamnerai à la prison comme la petite mendiante ; » mets-y un avocat, qui a besoin d’éprouver s’il devinera juste l’application que la cour fera de la loi ; joins à tout cela un ou deux imbéciles qui pensent qu’ils doivent répondre en conscience oui ou non sur la réalité du fait, sans s’occuper de ce qui arrivera de leur réponse ; complète ton nombre par quatre ou cinq propriétaires ou négociants pressés de finir les affaires des assises pour retourner aux leurs ; dis à ces hommes qu’ils s’appellent jurés et qu’ils sont chargés du salut de la société, imagine-toi qu’avec un mot tu leur as donné les saines idées du juste et de l’injuste, et on condamnera cette enfant à la prison, c’est-à-dire au vice, pour la plus noble action que la reconnaissance ait jamais inspirée.

— Mais cette enfant trouvera un avocat qui la défendra ?

— Point d’argent, point d’avocat, mon maître.

— La loi en donne un à tous les accusés.

— Un avocat d’office, un débutant inexpérimenté, et le plus inexpérimenté de tous ; car s’il s’agissait d’un coupable qui eût empoisonné trois ou quatre personnes, d’une mère qui a tué ses enfants, d’un fils qui a égorgé son père ; s’il s’agissait de quelque crime bien abominable, il y aurait queue à la porte du cachot pour obtenir du geôlier la défense d’une si belle cause. Mais un enfant qui volera un pain ou une paire de sabots ! qui veux-tu qui s’en occupe ? À défaut d’honoraires, quelle gloire cela rapportera-t-il ? Quelle affluence de belles dames et de curieux cela traînera-t-il à la cour d’assises ? Personne ne s’en occupera, mon maître, pas même toi, qui vas profiter du crime !

— Implacable railleur ! dit le baron, tu te crois bien fort, parce que tu attaques quelques vices épars de