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faire mettre en prison ; du moment qu’on la mettait en prison, on ne pouvait guère la loger avec des voleurs et des assassins.

— Oh ! Léonie ! Léonie ! que faire ? s’écria le baron, qui s’arrêta, accablé de désespoir et ne sachant quel parti prendre.

À son tour le Diable s’assit sur un tas de pavés, croisa les jambes, et, tandis qu’il fumait d’un côté de sa bouche, se mit à siffloter de l’autre :


Enfant chéri des dames,

Je fus, en tous pays,

Fort bien avec les femmes,

Mal avec les maris.


— Satan, tais-toi ! s’écria Luizzi redevenu furieux à ce manque de convenance du Diable, qui semblait le railler sur sa bonne fortune.

— C’est un peu vieil opéra-comique, reprit Satan ; mais si cela t’ennuie, voici quelque chose de tout à fait nouveau.


L’or est une chimère,

Sachons nous en servir.


Luizzi était très-habitué au Diable : par conséquent il n’est pas étonnant qu’il eût une intelligence particulière de ses paroles, quelque étrangères qu’elles parussent à la circonstance présente. Aussi, à peine Satan avait-il fait entendre le refrain que nous venons de citer, que le baron consulta rapidement toutes ses poches. Il n’avait pas conservé une pièce de cent sous sur lui. Ce fâcheux incident, au milieu de sa cruelle mésaventure, ne fit qu’irriter sa colère, qui s’exaspéra encore une fois jusqu’à la rage, lorsqu’il entendit Satan, qui paraissait très-fort sur l’opéra-comique, reprendre avec un imperturbable sang-froid :


J’ai tout perdu, je ne crains rien :

Pour moi, la vie est-elle un bien ?


Luizzi se sentit pris d’une horrible frénésie. S’il avait tenu en ce moment un pistolet, il se fût assurément fait sauter la cervelle ; mais il était sans armes. Alors il se mit à considérer d’un regard fixe ce tas de pavés anguleux comme pour en choisir un sur lequel il pût se briser la tête, lorsqu’il se sentit saisi par une main qui le tira doucement. Et une voix d’enfant lui dit presque aussitôt :

— Enfin, c’est vous !

Il se retourna, et, malgré l’obscurité de la nuit, il reconnut la petite mendiante.

— C’est toi, mon enfant ? s’écria vivement Armand ; qui t’envoie ?

— C’est la dame.

— Et comment l’as-tu vue ?