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ne t’ai pas dit de me suivre.

— M’avez-vous ordonné de vous quitter ?

À cette réponse, Luizzi se sentit pris d’une de ces rages immodérées qui ont besoin de s’épandre au dehors par des actes violents. Certes, il aurait beaucoup donné à ce moment pour que l’être impassible qui était devant lui eût été un homme avec lequel il pût lutter pour le déchirer ou en être déchiré ; mais il connaissait son impuissance vis-à-vis de son terrible esclave, et le sentiment de cette impuissance redoubla cette fureur qui, ne sachant où se prendre, se tourna alors contre lui-même. Se frappant la poitrine, il se mit à crier :

— Oh ! je suis un misérable !

— Niais ! repartit le Diable sans sourciller.

— Je suis un lâche !

— Niais !

— Oh ! je suis fou, véritablement fou !

— Niais ! véritablement niais ! dit le Diable.

— Satan, prends garde ! Je t’enchaînerai si bien à mes côtés que je te ferai regretter le temps qu’il te faudra employer à me perdre seul, tandis que mille victimes t’échapperont.

— Soit, dit le Diable ; où allons-nous ?

— À Orléans.

— Allons.

Et ils se mirent en marche.

— Chez qui allons-nous ? dit Satan, qui, ayant frappé sa première incisive avec l’ongle de son pouce, en fit jaillir une étincelle fulgurante à laquelle il alluma une grande pipe d’une forme très-singulière. Le fourneau avait une capacité immense, et elle était ornée d’un de ces longs et souples tuyaux qu’on tourne autour de soi. Luizzi ne put s’empêcher de la regarder, et le Diable s’en étant aperçu, lui dit :

— Tu remarques ma pipe ? Elle en vaut la peine. Depuis que l’architecture gothique est passée de mode, j’ai voulu utiliser les petits détails de la figure qu’elle m’avait donnée ; alors je me suis fait une pipe avec ma queue et mes cornes.

Il y a des idées folles contre lesquelles rien ne tient ; elles excitent l’âme par ce qu’on pourrait appeler un chatouillement moral, si brusque et si imprévu, qu’elles lui arrachent un rire convulsif comme celui qu’on obtient du corps par le même moyen au milieu des souffrances les plus vives. Luizzi ne put donc s’empêcher de rire, et le Diable reprit en continuant à fumer paisiblement dans sa queue :

— Où allons-nous décidément ? à Orléans ?

— Oui, retrouver Léonie.

— Alors, nous aurons plus tôt fait de prendre ce chemin de traverse, qui nous mènera juste à la maison où sont enfermées les folles et les femmes de mauvaise vie.

— Léonie dans une prison avec des femmes de mauvaise vie ! s’écria le baron.

— Du moment que son mari l’a fait arrêter, c’était probablement pour la