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jusqu’à ce qu’il eût traversé toute la ville et qu’il se vît sur la grande route.

La nuit était close, les rues désertes. Ce fut à cette circonstance qu’il dut de pouvoir échapper, car, bien qu’à vingt pas de l’auberge il fût déjà hors de l’atteinte des gendarmes, cependant, si quelque habitant avait rencontré cet homme fuyant, la tête nue, l’air égaré, il l’aurait sans doute pris pour un fou ou pour un voleur. Lorsque la fatigue l’eut forcé à s’arrêter, il s’assit sur le bord de la route et sur un de ces tas de pavés qui disent aux voyageurs que l’administration a toujours la pensée de réparer les grands chemins, tandis que les ornières l’avertissent à tout instant qu’elle ne les répare jamais. Luizzi, assis sur cet étrange siége, y demeura quelque temps avant de pouvoir calmer les battements redoublés de son cœur excité par cette longue course. Il ne pensait pas encore, il était trop haletant pour avoir des idées. Ce ne fut que lorsque l’air entra plus librement dans sa poitrine que quelques réflexions entrèrent à sa suite dans la tête de Luizzi. Une fois la voie ouverte, elles s’y précipitèrent en foule. En se voyant seul au milieu de la nuit sur cette grande route, il se souvint de Léonie, qu’il venait de laisser sans défense entre les mains de son mari, et il eut à la fois honte et horreur de lui-même. Dans un premier mouvement de bonne résolution, il se releva pour retourner à Orléans ; mais, au premier pas qu’il fit, il entendit une voix qui lui dit dans l’obscurité :

— Niais !

Il se retourna et aperçut Satan, qui avait quitté la figure d’Akabila pour en revêtir une moins extraordinaire. Il était en habit de voyage, si toutefois il y a ce qu’on peut appeler un habit de voyage dans le costume régulièrement mesquin que nous portons en toute circonstance. Cependant son frac était boutonné jusqu’au menton ; il avait de longues bottes fourrées qui lui montaient presque au haut des cuisses ; un grand manteau en forme de roulière pendait sur ses épaules, et une casquette, dont les bords étaient rabattus sur les oreilles, lui tenait lieu de cet informe rouleau de feutre noir qui se nomme chapeau. Luizzi était trop mécontent de lui-même pour ne pas s’en prendre à quelqu’un de son indigne conduite ; aussi, dès qu’il eut reconnu Satan à l’éclat de ses prunelles qui répandaient autour de lui une clarté verte et livide, il s’écria :

— Qui t’a appelé, esclave ?

— Toi.

— Tu mens.

Le Diable reprit d’un air froid et en tournant le dos à Luizzi :

— Vous êtes fou, monsieur le baron.

— Oui… oui, dit Luizzi, c’est vrai, c’est moi qui t’ai appelé, mais ce n’est pas ici, et je