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a personne ici, ajouta-t-elle en jetant autour d’elle son regard inquiet. Luizzi s’était un peu remis de sa violente émotion.

— Personne, en effet, répondit-il, que le remords qui me dévore, que l’esprit infernal qui me possède.

À cette réponse, faite avec l’air du plus profond désespoir et d’une voix entrecoupée, Léonie regarda tristement le baron, puis elle posa sa main sur le front d’Armand, et elle reprit doucement.

— Si le passé est pour vous si terrible à considérer, ayez la force d’en détourner vos regards pour les reporter sur l’avenir.

Le Diable se mit à rire, et Luizzi tressaillit.

— Hélas, reprit Léonie à ce mouvement du baron, je crains qu’il ne vous épouvante autant que le passé, et c’est peut-être en le prévoyant que vous avez senti ce fatal désespoir ?

Luizzi allait répondre pour rassurer Léonie, lorsqu’il entendit tout à coup un homme s’écrier violemment du dehors :

— Ils sont là ! j’ai reconnu la voix de la comtesse.

Aussitôt la porte qui menait dans l’intérieur de l’auberge s’ouvrit à son tour, et M. de Cerny parut, accompagné d’un commissaire de police et de deux gendarmes.

— Voici la coupable et voilà son complice, dit le comte en désignant d’abord sa femme, puis Armand.

Les gendarmes s’avancèrent vers madame de Cerny, qui leur dit avec plus de dignité que d’effroi :

— Ne me touchez pas, je vous suivrai.

— Emparez-vous donc de Monsieur ! dit le commissaire en désignant le baron.

Armand, égaré par cette rapide succession d’émotions et d’événements, jeta autour de lui un regard insensé, comme pour chercher une arme avec laquelle il pût se défendre et défendre Léonie ; mais il ne rencontra que le regard fauve de Satan qui dirigea lentement son doigt vers la porte ouverte de la chambre de Léonie. Ce ne fut point la lâcheté, ce ne fut point un calcul qui précipita le baron vers cette issue ; il n’eut pas la basse résolution d’abandonner Léonie, il ne calcula pas qu’il pourrait lui venir plus efficacement en aide s’il était libre que s’il se laissait emprisonner. Ce fut un mouvement irraisonné et involontaire, ce fut un de ces élans vers le salut qui entraînent si invinciblement l’homme en danger, ce fut un acte de son corps qui le fit s’élancer hors du salon. Dans la chambre de Léonie, une autre porte ouverte se présenta à lui : il la franchit, rencontra un petit escalier, le descendit rapidement, se trouva dans la cour, la traversa, gagna la rue, et, comme poussé par une force supérieure, courut devant lui