fait un choix entre les diverses émotions de son âme, et elle dit à Luizzi avec une confiance exaltée :
— C’est la voix de Dieu qui parle en tout ceci ; c’est son indulgence prévoyante qui a mis sur notre route toutes ces choses extraordinaires, comme pour nous présenter l’occasion d’une bonne action qui pût contre-balancer un jour devant sa justice la faute que nous commettons.
Luizzi ne répondit point à haute voix, mais il murmura en lui-même : « C’est plutôt la voix de l’enfer qui me donne tous ces avertissements ; c’est le pouvoir de Satan qui ouvre devant moi toutes ces voies inextricables où je dois m’égarer. »
— Ne pensez-vous pas comme moi ? dit Léonie étonnée de la sombre préoccupation d’Armand, qui, pour la première fois, avait été sourd à une de ses paroles… Croyez-vous, au contraire, continua Léonie, que tout cela soit une menace du sort ? car tout cela est trop extraordinaire pour qu’il n’y ait pas une leçon cachée au fond de ces événements.
— Je ne sais, répondit Armand d’un ton profondément découragé. Tout ce qui vient de moi me fait peur ; ma vie est un mystère qui m’épouvante, et, je l’avoue, en ce moment, je n’ai foi qu’en la protection que Dieu doit vous accorder, à vous si sainte et si pure devant lui, à vous qu’il a mise sans doute à côté de moi pour m’empêcher de me perdre tout à fait dans la voie où je puis périr.
— Armand ! Armand ! s’écria madame de Cerny, pourquoi cette faiblesse et cette terreur ? Rien de ce qui pourrait nous alarmer sur notre destinée ne se mêle à ces étranges rencontres.
— C’est que pour moi elles peuvent avoir un sens caché qu’elles n’ont pas pour vous.
L’expression du baron, pendant qu’il parlait ainsi, était empreinte de cette sombre résignation à une fatalité invincible qui prend l’homme dont tous les calculs pour bien faire ont abouti à faire mal.
La comtesse s’en étonna sérieusement et lui dit à son tour avec découragement :
— Vous avez peut-être raison, Dieu place le châtiment à côté de la faute.
— Que voulez-vous dire ?… demanda vivement le baron.
— Qu’à peine sur le seuil de l’existence perdue à laquelle nous nous sommes condamnés l’un et l’autre, vous en avez peut-être le regret…
— Léonie ! s’écria le baron, avez-vous pensé ce que vous venez de me dire ? Suis-je assez misérable pour que vous l’ayez pensé ?
Il s’approcha d’elle, puis reprit :
— Oh ! s’il en est ainsi, vous avez raison, le châtiment est à côté de la faute, car j’ai déjà mérité votre mépris pour ma faiblesse.