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tout ça, c’est pour vous dire qu’on m’a liquidé une méchante pension de cent vingt-cinq francs avec laquelle on m’a dit de mettre le pot au feu tous les jours ; tout ça, c’est pour vous dire comment un vieux soldat, ainsi que j’ai l’honneur d’être, a été réduit à se faire mendiant. Voilà toute mon histoire. Maintenant la petite va vous dire la sienne, à laquelle je ne comprends goutte, peut-être parce que je n’y vois plus, mais à laquelle vous pouvez croire, parce que, depuis le jour où elle m’a trouvé sur la route à moitié mort de faim et qu’elle m’a donné la moitié de son pain, j’ai reconnu que c’était une honnête fille. Elle m’a toujours rapporté exactement tout ce qu’on lui donnait, et j’ai toujours exactement partagé avec elle ; pas vrai, ma fille ?… parce que, voyez-vous, entre nous, c’est d’honneur ! c’est elle qui demande, c’est à moi qu’on donne. La vieillesse intéresse toujours, et ce n’est pas pour dire, mais je voudrais me voir, je dois faire un bel aveugle. XXXV

BONNE RÉSOLUTION.

Si nous n’avons pas suffisamment expliqué dans ce récit tous les mouvements de surprise que laissèrent échapper le baron et la comtesse, si nous n’avons pas dit que l’impression produite sur eux fut grave à ce point de leur faire oublier les formules grotesques du narrateur, c’est que nous avons supposé qu’on a deviné ces mouvements et cette impression, c’est que d’ailleurs nous allons en voir les résultats. À peine le vieux soldat avait-il fini de parler, que Léonie, qui semblait avoir été la plus curieuse d’entendre les aventures de la jeune mendiante, l’arrêta au moment où elle allait commencer, et lui dit doucement :

— Je me croyais plus forte que je ne le suis. Cette route m’a tellement fatiguée que mes yeux se ferment malgré moi ; remettons à demain le récit de vos malheurs, je serai plus capable de les entendre.

Luizzi comprit l’intention de la comtesse et fit reconduire le mendiant et la jeune fille dans les chambres qu’on leur avait préparées. Le visage de Léonie attestait une préoccupation qui flottait entre des craintes et des espérances également vagues, tandis que le visage de Luizzi semblait arrêté dans l’expression d’une terreur insurmontable. Tout à coup Léonie sembla à son tour avoir