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trouvais tellement en fonds, que, ma foi ! je ne pensai pas trop à aller chercher ma fille. Cet argent me venait d’une drôle d’affaire qu’il faut que je vous conte.

Et il continua :

— Un soir que je passais le long d’un hôtel de la rue de Varennes, je fus heurté par un homme qui portait sous le bras un paquet qui criait. Il faisait nuit. Je regarde cet homme, qui avait l’air tout effaré.

« Où allez-vous donc si vite, que je lui dis en l’arrêtant, que vous marchez sur le pied d’un grenadier de l’Italie, comme vous pourriez faire sur un moindre pavé ?

— Je vais où vous pouvez aller pour moi, me dit-il, si vous voulez gagner une bonne récompense.

— Ça se peut ! que je lui dis.

— En ce cas, me répondit-il, prenez ces vingt-cinq louis et cet enfant, et allez le porter aux Enfants-Trouvés. »

Je pris les vingt-cinq louis et je regardai l’hôtel d’où sortait cet homme. C’était une belle façade, une grande porte cochère, avec deux belles colonnes ; un vrai hôtel du faubourg Saint-Germain. Moi, qui avais vécu un peu dans les idées de l’ancien régime, je me dis : C’est bon ! connu ; une grande dame qui a frustré son mari en son absence ou une jeune personne sur le point de se marier, c’est tout simple ! Je reçus l’enfant des mains du médecin, car ce devait être le médecin ; les médecins n’ont jamais été bons qu’à ça, et je l’emportai le plus proprement et le plus doucement que je pus. On lui avait attaché au cou un papier que j’eus la discrétion de ne pas lire, attendu que je ne sais pas lire, ce qui m’est parfaitement égal à présent que je suis aveugle, et je m’amusai à regarder au clair des réverbères les langes en fine toile dont était enveloppé cet enfant, lorsqu’à mon tour je fus accosté par un homme qui fut tout aussi surpris que moi en me voyant en grande tenue et avec un poupon sous le bras. Le fait est que ça n’était pas naturel et que je n’eus pas le droit de me fâcher lorsqu’il me dit en m’abordant :

« Eh ! camarade, où diable avez-vous donc trouvé cet enfant ?

— Pardine ! que je lui dis, saisi par son idée, je l’ai trouvé là-bas, du côté du Gros-Caillou, qui grognait comme un malheureux.

— Et que comptez-vous en faire ? me dit-il.

— Je vais le porter à son domicile naturel, aux Enfants-Trouvés. »

Alors il s’arrêta et sembla réfléchir longtemps, puis il me dit :

« — Voulez-vous me donner cet enfant ?

— Un moment, camarade, que je lui réplique, on ne confie pas comme ça une pauvre petite créature au premier venu sans savoir ce qu’il en veut faire.

— Je l’élèverai, me dit cet homme, je le nourrirai ; je n’ai pas d’enfant, il deviendra le mien. D’ailleurs, j’en ai besoin.

— Besoin d’un enfant ! que je lui dis. C’est peut-être bon quand on est vieux ; mais vous, vous m’avez l’air d’un