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mari qui n’était pas suffisant ; il s’appelait Béru et jouait du violon d’une façon merveilleuse, mais rien que de ça.

À ce nom de Béru, madame de Cerny et Luizzi se regardèrent avec un tel étonnement (car Léonie n’ignorait pas l’origine d’Olivia), que ni l’un ni l’autre n’entendirent, à vrai dire, la singulière phrase du vieux soldat qui continua :

— Il paraît que madame Béru s’ennuyait beaucoup de son mari ; il ne s’amusait pas beaucoup d’elle non plus, et, une fois qu’elle vint voir la parade où j’étais en superbe tenue, je crus remarquer qu’elle m’avait distingué face en tête sur toute la ligne. Je ne dis rien, mais je pensai en moi-même que ce pourrait être une maîtresse qui m’irait joliment, bien habillée, bien cossue, et qui devait avoir une fameuse cuisine chez elle ; je lui fis l’œil, elle n’en parut pas courroucée, et il me sembla qu’elle demandait à un des officiers de notre compagnie : « Quel est donc ce bel homme qui est le troisième du premier rang ? » Il paraît que l’officier lui dit mon nom et mon adresse à la caserne des gardes françaises ; car le soir je reçus un petit brin de poulet que je me fis lire par le caporal et qui m’engageait à passer chez la belle dame, sous prétexte de me demander des nouvelles du pays, attendu que je suis des environs d’Orléans et qu’elle en est aussi. Je me rendis à l’invitation. Je me tais par respect pour Madame et pour l’enfant qui nous écoute, mais neuf mois après, jour pour jour, madame Béru accoucha d’une jolie petite fille qu’on appela Olivia. J’ai la mémoire des noms, et pour cause, ajouta le vieux soldat d’un ton significatif.

Léonie et Armand échangèrent un nouveau regard, l’un et l’autre de plus en plus confondus de l’étrange assemblage de toutes ces circonstances, et Luizzi véritablement alarmé au souvenir des menaces de Satan.

— Or, continua le soldat, il faut vous dire qu’outre les jolis petits cadeaux que me faisait la belle de mon cœur et qui me mettaient à même de porter du drap d’officier et du linge blanc deux fois la semaine, elle m’avait promis sa protection ; mais cette protection se fit si longtemps attendre qu’en 1789 j’étais encore soldat aux gardes françaises. Cependant ma fille avait fait fortune ; mais, comme ce n’était pas ma fille devant la loi, je n’avais rien à lui réclamer, et en 1793, lorsqu’elle était en Angleterre, j’étais soldat de la république. Depuis ce temps, je ne puis pas dire que j’en ai eu des nouvelles, à moins que je n’eusse été en chercher en Italie, et l’Italie n’est pas précisément sur la route de Londres.

Quand je revins à Paris, on me dit bien qu’on l’avait revue quelque part. J’étais toujours soldat de la république ; mais je me