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Cependant madame de Cerny continua :

— Ce que je ne savais pas, car elle ne me l’a point dit, c’est que ma tante y avait retrouvé M. de Mère, et qu’elle y avait fait l’éclat dont vous me parlez ; toujours est-il que, le cœur brisé par la fatale expérience qu’elle venait de faire de la perfidie de certains hommes, elle renonça à espérer aucun amour et sentit avec plus de force que jamais la douleur de son isolement. La chance devint belle alors pour Bricoin qui, toujours assidu près de la jeune veuve, lui sauvant l’ennui de ses affaires, la protégeant contre la rapacité des intrigants, sinon contre les perfidies du monde, semblait être le seul protecteur qu’elle dût avoir jamais. D’ailleurs, il parlait toujours de mariage, et ce lien sacré, dont madame de Cauny avait apprécié la sainteté durant les deux années qu’elle avait passées avec son mari, était le seul qui pût attacher son existence à un homme qui ferait sa vie de sa vie, son bonheur de son bonheur. Une autre raison, que j’ai tardé à vous dire parce que je ne puis croire à la manière dont mon père l’envisage, dut déterminer aussi l’infortunée Valentine. Depuis le jour de sa naissance, elle n’avait pas vu sa fille. Bricoin, pour des raisons fausses ou vraies, lui disait toujours que les gens à qui il l’avait confiée avaient quitté Paris et étaient sur le point d’y revenir. Peut-être mon père a-t-il raison ; peut-être cet homme fit-il espérer son enfant à une mère, comme le prix du sacrifice qu’il lui demandait ; peut-être Bricoin promit-il à madame de Cauny de lui rendre sa fille le jour où elle consentirait à l’épouser. Quoi qu’il en soit, ce mariage eut lieu, et quelques jours après M. de Paradèze, car il prit ce nom en épousant ma tante, annonça à sa femme qu’il avait la presque certitude que sa fille était morte.

— Le croyez-vous donc capable d’un crime ? dit Luizzi.

— Ce que vous m’avez appris de madame Peyrol, répondit madame de Cerny, nous prouve, si tant il est qu’elle soit cette malheureuse fille perdue, que Bricoin ne poussa pas jusque-là l’infamie. D’ailleurs, jamais il ne produisit une preuve légale de la mort de cette enfant ; et, depuis plus de trente ans, ma tante vit avec l’horrible incertitude de savoir si elle a une fille ou si elle n’en a pas. Toutes les recherches faites par mon père ont été vaines ; car, il faut vous le dire aussi, ce fut mon père qui, en haine de M. de Paradèze, essaya le plus activement de découvrir l’héritière de M. de Cauny. « Il a fait disparaître l’enfant, disait-il, pour s’emparer de toute sa fortune ; je le ferai reparaître, moi, pour faire rentrer ce drôle dans la misère dont il n’aurait jamais dû sortir. » Car voilà de quel style mon père parle toujours du mari de sa sœur.

— Mais ne craignez-vous pas, dit le baron, qu’avec la haine qui existe entre ces deux hommes votre