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contre toutes les déclarations mal déguisées dont il l’accablait. Ce fut alors qu’il lui arriva un malheur que je puis vous dire à vous, Armand, et qui est peut-être une excuse à la faute qu’elle a faite en épousant M. Bricoin, quoique ce malheur soit lui-même une faute. Valentine, belle, jeune, charmante, isolée, rencontra, parmi le peu d’hommes que son nom appelait chez elle, un homme distingué, d’une rare adresse à faire croire à des sentiments qu’il n’avait pas, d’un implacable cynisme à se vanter d’avoir joué ces sentiments, et qui s’étudia de tout le pouvoir de son infernale séduction à mettre madame de Cauny au nombre de ses victimes. Cet homme, dont ma tante n’a jamais voulu me dire le nom…

— Cet homme, dit Luizzi en interrompant la comtesse, cet homme s’appelait M. de Mère.

— Vous le connaissez ? dit la comtesse avec un nouvel étonnement.

— Ne savez-vous pas, repartit Luizzi, que je sais toute l’histoire de madame de Marignon ?

M. de Mère a-t-il donc eu quelques rapports avec madame de Marignon ?

— Il a été son dernier amant, comme Bricoin avait été le premier.

À cette révélation, madame de Cerny devint pensive à son tour ; elle s’étonna en elle-même de ces destinées qui agissent l’une sur l’autre sans paraître jamais s’être rencontrées, et elle répondit à Luizzi :

— Ce fut donc le dernier amant de madame de Marignon qui livra Valentine au premier !

Elle s’arrêta, puis elle continua :

— Vous savez, je le suppose, par quel lâche et insultant abandon ce M. de Mère paya l’amour d’une femme qui s’était noblement confiée à lui et envers laquelle il fut d’autant plus infâme qu’elle n’avait personne au monde pour la protéger.

— Elle s’en vengea cependant autant que le peut une femme, dit le baron, en le traînant audacieusement dans la fange de sa propre infamie, devant une nombreuse assemblée, et en présence de madame de Marignon, qui n’était alors que la belle Olivia.

— Oui, répondit madame de Cerny, je sais que, grâce aux relations que la belle Olivia, puisque vous l’appelez ainsi, avait gardées avec le vicomte qu’elle avait retrouvé en Angleterre, elle se crut autorisée à attirer madame de Cauny chez elle, malgré la honteuse position où elle vivait alors.

Luizzi ne put s’empêcher de remarquer le mot de honteuse position que venait d’employer madame de Cerny, et il admira combien les convenances apparentes du monde peuvent dominer les âmes les plus fortes et les plus justes, puisqu’il avait pu trente ans après rencontrer convenablement la comtesse chez cette femme dont elle qualifiait la vie d’autrefois avec tant de mépris.