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être les douleurs d’une pauvre fille de quinze ans jetée tout à coup sur une grande route, vêtue d’un habit qui lui attirait les grossières injures des passants et souvent même les sévices des enfants des villages qu’elle traversait ! Songez que ces enfants jetaient de la boue sur sa blanche robe en la poursuivant des plus épouvantables invectives. Ma pauvre tante passa deux jours entiers sans manger et coucha deux nuits dans les fossés des chemins. Voilà de ces douleurs dont on suppose que les gens de notre sorte n’ont jamais eu à souffrir ; et certes, si vous aviez rencontré madame de Paradèze dans le magnifique château qu’elle habite, vous auriez pris pour un conte impossible la supposition qu’une femme de ce nom et de ce rang eût été plus misérable que la mendiante à qui nous venons de faire l’aumône.

— Cela m’étonne moins que vous ne pensez, dit le baron, et moi-même j’ai dû à l’hospitalité d’un paysan de ne pas passer la nuit au grand air, et à une rencontre fort heureuse, de ne pas être arrêté comme un mendiant et un vagabond. Mais veuillez continuer.

La comtesse reprit :

— Cette misère fut longue, elle dura près de quinze jours, durant lesquels Valentine parvint à gagner Paris. La seule chose qu’elle eût gardée de sa vie passée était la lettre de M. de Cauny. Une femme ne perd jamais et ne quitte jamais la première lettre d’amour qu’elle reçoit. Elle l’avait gardée sans espérance, et, lorsqu’elle fut chassée de son seul asile, elle repoussa la pensée d’aller demander la protection de M. de Cauny qui avait versé le sang de son frère ; mais la misère est bien forte, et, après avoir erré deux jours entiers dans les rues de Paris en y vivant des aumônes que la faim lui avait appris à solliciter, elle se décida à s’adresser à celui qu’elle aimait. Elle se rendit à son hôtel et ne l’y trouva point ; car le comte, ayant appris l’acte brutal commis au couvent qu’elle habitait, était parti immédiatement pour lui offrir un asile, et il la cherchait de tous les côtés, courant sur les traces de toutes les religieuses, par les routes qu’on disait leur avoir vues prendre, celle-ci d’un côté, celle-là d’un autre. Il en rencontra plusieurs, mais ce n’était point Valentine, et il revint désespéré à Paris, pour apprendre qu’une jeune fille, une religieuse, était venue le demander et qu’elle s’était retirée en apprenant qu’il n’y était pas et en disant se nommer mademoiselle d’Assimbret. Le comte s’irrita de ce qu’on ne l’avait pas reçue malgré son absence, et il maltraita le concierge dont l’insolence lui fit supposer qu’il l’avait durement repoussée.

Cette légère circonstance, qui n’eût été d’aucune importance entre le comte de Cauny et l’un de ses gens, devint très-grave