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eut pour lui d’épouvantables conséquences, et que la phrase que je vous cite fut le texte de sa condamnation.

M. de Cauny a donc péri dans la révolution ?

— Lui, comme beaucoup de ceux qui ont voulu museler le lion après l’avoir déchaîné. Mais pour vous ce n’est pas cela qu’il est important de savoir. J’arrive rapidement à la circonstance qui a amené la perte de la fille de ma tante, de ma cousine.

— Non, non, dit Luizzi, dites-moi tout ; car souvent le détail le plus insignifiant éclaire plus pour découvrir la vérité que les événements les plus graves.

— Voici donc la suite de cette histoire, dit la comtesse. Mon père, remis de sa blessure, resta en France jusqu’au 10 août, espérant toujours que l’ordre se rétablirait, ne tenant pas pour possible une révolution qui renverserait le trône, ne s’imaginant pas surtout que des sujets pussent jamais aller jusqu’à juger leur roi, à le condamner et à le faire exécuter. Au moment de la captivité de Louis XVI, le vicomte, qui avait été reconnu parmi ceux qui avaient le plus courageusement défendu les Tuileries, fut obligé de se cacher, et bientôt il alla rejoindre les princes émigrés. Sans doute il se souvint dans sa fuite qu’il laissait sa sœur en France sans protecteur, car le vieux comte de Cauny était mort ; mais, d’une part, ses propres dangers ne lui permettaient pas d’emmener Valentine à qui il les aurait fait partager, et, d’autre part, il pensait comme tant d’autres que cette émigration ne devait être qu’une absence de quelques mois, que bientôt il serait de retour à Paris, et qu’une campagne suffirait à mettre à la raison toute cette populace révoltée. Comme tant d’autres, il se trompa.

Pendant ce temps arriva l’entière dispersion des maisons religieuses, et un jour vint où des officiers municipaux, suivis d’un corps de soldats, forcèrent le couvent où se trouvait encore ma tante, et sur l’heure, sans laisser aux pauvres recluses le temps de faire les moindres préparatifs, on les expulsa, les laissant à la porte sans argent, sans ressources, sans guide. Chacune d’elles eut assez à faire de pourvoir à sa sûreté pour ne pas avoir à s’occuper de celle des autres ; mais toutes à peu près savaient où elles devaient se retirer, car toutes celles dont la famille avait fui la France avaient depuis longtemps quitté le couvent. Il n’y eut donc que Valentine qui demeura véritablement dans la rue, ne sachant que faire ni devenir.

— Hier, Armand, vous me plaigniez, moi, femme, qui suis dans la force de la vie et qui étais dans une voiture avec un homme qui m’a juré de me protéger, vous me plaigniez de ce que je souffrais un peu du froid et de la fièvre. Or, pensez quelles durent