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par un instinct secret que le bienfait qu’elle recevait lui venait plutôt d’elle que de celui qui l’accomplissait… Merci ! dit-elle… Voilà votre argent, puisque vous payez pour nous.

— Gardez, mon enfant, dit madame de Cerny, et, lorsque nous serons arrivés, venez me parler en quittant la voiture.

— Oui, Madame ! dit l’enfant en faisant une révérence et en courant vers un vieillard qui était assis sur une pierre devant la porte de la poste.

La manière dont il écouta le jeune fille, sans relever la tête, montra qu’il était aveugle et que rien de ce qui se passait autour de lui ne lui arrivait plus que par l’oreille. Alors madame de Cerny, se tournant vers Luizzi, lui dit en souriant :

— Vous voyez, Armand ! je dispose de votre fortune.

— C’est effrayant ! repartit Luizzi du même ton.

Et ils échangèrent ensemble un de ces sourires et un de ces regards où il y a plus d’amour que dans les plus douces paroles. Puis la voiture se remit en marche, et la comtesse dit à Luizzi :

— Maintenant, il faut que je reprenne mon récit.

Et elle continua ainsi :

— Comme je vous l’ai dit, le comte de Cauny avait continué à voir Valentine jusqu’au moment de son duel avec mon père. À cette époque, la délicatesse lui imposa un sacrifice qu’il n’avait pas cru devoir faire à des dissidences d’opinion, mais qu’il ne pouvait refuser au sang qu’il avait versé bien malgré lui. Il cessa d’aller au couvent, et, résolu à ne plus voir mademoiselle d’Assimbret, il lui écrivit pour la première fois et lui apprit la raison qui les séparait. Après avoir déploré dans cette lettre les résultats de ce funeste événement, le comte finissait par assurer Valentine que jamais il n’oublierait l’amour qu’il lui avait voué, et que, s’il venait des jours plus heureux où il pût retrouver l’amitié de son frère, il espérait retrouver l’amour de la sœur. Mais il ajoutait que pour lui cette espérance était bien éloignée, qu’il prévoyait que la marche des affaires amènerait d’épouvantables malheurs, et qu’il ne craignait pas de lui avouer qu’il était assez effrayé de l’avenir de la France pour déplorer la part qu’il avait prise au mouvement révolutionnaire. « Dans ce cas, ajoutait-il, si jamais vous et votre frère avez besoin d’un protecteur, je n’ose plus dire d’un ami, n’oubliez pas que je suis à vous maintenant comme autrefois, demain comme aujourd’hui, et que je ne recule pas dans la voie où je suis entré, parce que j’y aperçois l’espoir lointain de pouvoir protéger ceux que j’aime. »

Le récit que je vous fais, reprit Léonie, ne manque de rien de ce qui constitue un roman. J’y mets même les lettres amoureuses et je les cite textuellement. C’est que cette lettre de M. de Cauny