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débitant un quatrain qu’on a toujours attribué au comte de Provence, depuis Louis XVIII, mais qui appartient assurément à mon père. Il n’y avait même que l’entraînement de la circonstance qui en pouvait faire pardonner l’audace, non-seulement dans la bouche de mon père, mais dans celle du prince le plus haut placé, du moment que ce quatrain était adressé à Marie-Antoinette ; mais la poésie et l’étiquette ne sont pas rigoureuses pour les impromptus, et le fameux quatrain :


« Prévenant vos moindres désirs,

« Au milieu des chaleurs extrêmes,

« Je vous rapporte les zéphyrs ;

« Les amours y viendront d’eux-mêmes. »


fut jugé délicieux.

Eh bien ! comme je vous le disais, le jour même où mon père faisait l’envie de toute la cour par la bonne fortune de son esprit, M. de Cauny se faisait nommer par la sénéchaussée de Rennes député du tiers à l’assemblée des états généraux ; et quelque temps après, lorsque mon père se faisait remarquer à Versailles par l’exaltation de son dévouement aux intérêts de Louis XVI, M. de Cauny donnait sa démission de la charge qu’il occupait dans la maison militaire du roi. Cette démission fut considérée comme un acte de lâcheté, et tous les officiers de la compagnie à laquelle appartenait M. de Cauny jurèrent de l’en punir. Vous savez, Armand, que plus on a aimé un homme, plus on le hait et on le méprise lorsqu’on croit qu’il a manqué à l’honneur. Mon père, poussé par ce sentiment et outré de la trahison de M. de Cauny, se proposa pour cette vengeance et appela en duel celui qui avait été si longtemps son ami. M. de Cauny refusa d’abord. Les principes philosophiques qu’il professait lui faisaient considérer le duel comme une barbarie. Sa position à l’Assemblée constituante lui faisait dire que l’on ne vidait pas des querelles politiques par des combats singuliers ; mais ces motifs qu’il disait tout haut et le motif bien plus puissant qu’il ne disait pas ne purent tenir contre les provocations insultantes de M. d’Assimbret : une rencontre eut lieu, mon père y fut grièvement blessé. Cela fit grand scandale, et l’on donna presque raison à mon père, en l’accusant de torts qu’il n’avait pas. On alla promenant partout le bruit que la cour, n’osant résister à l’Assemblée constituante en masse, voulait s’en défaire en détail. On mêla le mot infâme d’assassinat à un combat loyal dont six personnes avaient été témoins.

Comme vous devez le croire, tous ceux qui connaissaient mon père pour l’un des plus braves et des plus francs officiers des gardes