Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/269

Cette page n’a pas encore été corrigée

sa famille ? dit madame de Cerny.

— Je ne le pense pas, dit Luizzi.

— Hélas ! reprit la comtesse, peut-être sera-ce un bonheur pour elle de ne pas la retrouver. Une pauvre jeune fille élevée dans le peuple, dans des habitudes basses et triviales, jetée tout à coup dans un monde si nouveau pour elle, dans un monde qui, après l’avoir plainte pendant deux jours, la regarderait ensuite avec curiosité, puis avec dédain et dérision, et qui ne lui épargnerait pas les moqueries les plus cruelles et les plus humiliantes… ce serait, je crois, une triste destinée !

— Sans doute, tout cela est vrai pour une pauvre fille, comme vous venez de la peindre ; mais il est peu de femmes qui fussent mieux placées, dans un monde si élevé qu’il soit, que ne le serait madame Peyrol.

— Madame Peyrol ! répéta la comtesse avec étonnement, je crois avoir entendu prononcer ce nom. Mais n’est-ce pas la mère de madame de Lémée ?

— Précisément, la nièce ou plutôt la prétendue nièce de ce fameux oncle de Rigot.

— Voilà qui m’étonne ! dit Léonie. Madame de Lémée est bien impertinente pour être de bonne souche.

— Sa mère vous donnerait d’elle une autre opinion, et certes, plus qu’aucune autre, elle serait une preuve de la puissance héréditaire d’un noble sang.

— Mais est-elle d’un rang, d’une famille véritablement très-élevés ?

— Je ne saurais vous le dire. Avez-vous jamais entendu parler d’une certaine madame de Cauny ?

— Madame de Cauny ! s’écria Léonie avec une étrange stupéfaction, mais c’est ma tante !

— L’une de vos tantes…

— Ma tante chez qui nous allons, reprit la comtesse, madame de Paradèze, autrefois madame de Cauny.

— C’est étrange, dit le baron encore plus stupéfait que la comtesse. Et cependant… attendez que je me rappelle… Sa fille a donc disparu quelques jours après sa naissance ?

— Le jour même.

— C’est à Paris qu’elle l’a perdue ?

— À Paris.

— Vers 1797 ?

— En 1797, en effet.

— C’est elle alors !

— En êtes-vous sûr ? dit Léonie avec une vive émotion.

— Autant qu’on peut l’être d’une chose d’après la coïncidence des dates et la ressemblance des événements.

— C’est que ce serait une joie si vive pour ma pauvre tante !… Oh ! Armand, il faut vous informer.

— Je le ferai, je le ferai.

— Cependant, il faudrait être bien sûr de la réalité de tout cela avant d’en dire un mot à ma tante. Je ne sais si la pauvre femme aurait assez de force pour soutenir le bonheur de retrouver sa fille ; mais je suis sûre qu’elle mourrait si elle concevait un moment cet espoir pour le perdre de nouveau et pour jamais.

— Fiez-vous à moi, Léonie ! Je prendrai toutes les précautions nécessaires, et, si je puis vous faire rendre une fille à sa mère, je crois que vous lui aurez richement payé l’hospitalité que vous allez lui demander.

— Oui, Armand, et je