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— Aussi sûre qu’on peut l’être, en ce monde, d’un cœur bon et facile.

— C’est quelquefois un signe de faiblesse, Léonie.

— Sans doute, reprit madame de Cerny, et je ne vous donne pas ma tante comme un modèle de ce courage héroïque qui fait faire des actions éclatantes de dévouement. Cependant, si elle est faible, ce n’est que pour le bien ; car elle est très-capable de résister à tout pouvoir qui la pousserait à une mauvaise action.

— Je le crois, dit le baron ; mais on peut lui faire considérer comme une chose heureuse pour vous votre retour auprès de votre mari.

— Cela ne serait possible que dans deux cas : dans celui où elle aurait près d’elle quelqu’un qui eût intérêt à le lui persuader, ce qui n’est pas probable ; ensuite dans le cas où cette personne, si elle existait, aurait sur ma tante un pouvoir qui pût balancer le mien.

— Je ne doute de votre pouvoir sur personne, Léonie, reprit le baron en souriant ; mais pardonnez-moi de prévoir tous les dangers pour mon bonheur, même celui d’une illusion… Sur quoi fondez-vous donc cette confiance en votre pouvoir ?

— Sur l’affection qu’elle a pour moi, sur son cœur. Voyons, Armand, ajouta Léonie en souriant, êtes-vous rassuré, croyez-vous que ce soit là un bon garant ?

— C’est que tout le monde ne vous aime pas comme moi. Je commence à croire qu’il n’y a que deux amours puissants en ce monde, celui que j’ai pour vous… ou celui d’une mère pour son enfant.

— Hé bien ! madame de Paradèze est une mère pour moi… ou plutôt je suis une fille pour elle ; car elle a eu le malheur de perdre la sienne.

— Ah ! dit Luizzi, sa fille est morte ?

— Je ne puis vous le dire, repartit madame de Cerny, car le mot perdre que je viens d’employer par hasard doit être pris dans son sens le plus exact. Cette fille a été véritablement perdue ou soustraite à sa mère.

— Ah ! dit Luizzi avec un étonnement marqué qui venait de la coïncidence de cette histoire avec celle d’Eugénie qu’il avait apprise la veille ; on a enlevé la fille de madame de Paradèze ?

Le baron n’avait pas achevé sa phrase, que le nom même qu’il venait de prononcer l’avertit qu’il se trompait, et que Paradèze et Cauny se ressemblaient assez peu pour que Petit-Pierre n’eût pas pris un nom pour l’autre. D’ailleurs c’eût été un hasard si extraordinaire que le baron en repoussa l’idée et qu’il se contenta de répondre :

— Ce n’est pas la seule mère qui se trouve dans une si triste position. Il y a bien peu de temps que j’ai appris une histoire toute semblable, si ce n’est que c’est la fille qui vient d’apprendre qu’elle n’appartenait pas à la femme du peuple, grossière et brutale, qu’elle avait toujours appelée sa mère, et qu’elle était l’enfant d’une noble famille à laquelle elle avait été enlevée.

— Et a-t-elle retrouvé