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moment deviendrait un souvenir sans regret, après avoir été un bonheur sans crainte.

Oh ! l’amour ! l’amour est une puissance suprême qui amollit et plie les plus fiers esprits, et leur fait goûter la joie des plus petites choses. Et cela fut si vrai pour Léonie et Armand, que, lorsqu’il fallut mettre la main aux derniers apprêts du départ, Léonie partagea les soins d’Armand et les lui disputa avec une si douce aisance, avec une âme si légère, qu’oubliant tous deux qu’ils venaient de perdre et jouer leur vie, ils trouvèrent un moment de gaieté heureuse pour leur fuite, comme il aurait pu arriver à deux époux qu’un hasard, un accident, eût jetés dans l’embarras d’une situation où rien ne leur manque que le luxe matériel de la vie.

Enfin l’heure sonna, et Armand, donnant des ordres pour qu’on chargeât les grands paquets qu’il avait faits, Léonie emportant dans ses mains les objets qui ne pouvaient la quitter, ils montèrent tous deux dans le coupé de la diligence qui se trouva libre et qu’Armand retint tout entier. XXX

UNE NOUVELLE HISTOIRE QUI SE TROUVERA VIEILLE.

RECONNAISSANCE.

Ils couraient en voiture pressés l’un contre l’autre, soumis encore au charme de cette nuit d’amour ; car le cœur est comme un instrument qui a été vivement ébranlé par une main puissante et qui vibre longtemps encore après que l’archet qui l’a touché ne l’anime plus. Puis, quand le grand jour fut levé, les pensées mystérieuses qui couraient autour d’eux s’effacèrent lentement, ainsi que les fantômes aimés disparaissent devant le soleil. Peu à peu la réalité de leur position leur revint avec toutes les réalités de la nature qui se levait lentement dans le jour. Ce fut alors que Luizzi dit à la comtesse :

— J’ai voulu ce que vous avez voulu, Léonie ; mais êtes-vous bien sûre de la protection de madame de Paradèze ?