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glissent d’une âme à l’autre par une main posée dans une main brûlant du feu qu’elle reçoit en retour du feu qu’elle communique. Mais ce bonheur si rare, cette félicité si divine, on ne la cherche pas, on la trouve ; on la trouve un soir qu’on est assis l’un près de l’autre, sous quelque chêne majestueux, en face d’un vaste paysage dont l’immensité fait la solitude ; on la trouve dans le coin mystérieux et ignoré d’un théâtre, où tous les regards appelés vers la scène laissent à ceux qui s’aiment la liberté de leurs regards.

Luizzi était donc triste, n’ayant aucun de ces bonheurs et n’osant en demander d’autres ; il avait la tête baissée, et son cœur était oppressé et presque triste. Léonie le regardait alors, car il ne la regardait pas, et peut-être le comprit-elle comme il l’avait comprise, car à son tour elle lui vint en aide pour le tirer de l’embarras douloureux où il était. Elle lui dit donc bien doucement, afin de ne pas le tirer, pour ainsi dire en sursaut, de sa préoccupation :

— Et vous, Armand, vous devez souffrir aussi ?…

Il releva la tête et la regarda ; elle tira doucement son bras du lit et lui tendit la main ; il la saisit avec transport et lui répondit d’une voix émue de bonheur :

— Merci !… Non, non, je ne souffre pas…

Et, se tournant tout à fait vers Léonie pour mieux la contempler, il ajouta :

— Je suis heureux ainsi…

— Oui… n’est-ce pas ? et moi aussi, Armand, je suis heureuse… je ne sens plus ce qui m’est arrivé… je suis heureuse…

Et comme elle disait ces paroles, ses yeux se fermaient doucement : il semblait qu’elle pressât contre son âme le regard de tendresse qu’Armand lui jetait. Et ils demeurèrent longtemps à se regarder ainsi, goûtant dans toute sa plénitude une de ces félicités dont nous parlions tout à l’heure, et dont peu de cœurs savent le secret. Puis un moment vint où la fatigue de cette nuit et de cette journée, passées en soins actifs et sans un moment de repos, gagna insensiblement Armand. Sa tête se pencha lentement sur son épaule, sans que ses yeux pourtant quittassent ceux de Léonie. Par un mouvement rapide et involontaire, Léonie serra la main qu’elle tenait et l’attira vers elle.

— Vous souffrez, Armand, dit-elle avec une alarme si douce qu’elle alla au cœur du baron ; vous souffrez… la fatigue vous accable.

— Non, répondit-il tristement, comme s’il regrettait qu’elle se fût aperçue de cette lassitude ; non, je suis fort. Ne le serai-je donc pas autant que vous ?

— Vous n’avez pas pris de repos, vous,