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, qu’il n’y avait plus que les deux amants dans cette étroite chambre d’auberge où il n’y avait qu’un lit. La comtesse baissa les yeux et rougit. Armand, averti par cette rougeur que la pensée qui lui était venue était venue aussi à Léonie, l’en remercia au fond de son cœur. Mais en présence de cette pudeur qui s’alarmait dans cette femme si forte qui s’était donnée si courageusement à lui, cet homme se sentit pris d’une timidité d’enfant qu’il ne se croyait plus capable d’éprouver. Alors il lui arriva ce qui arrive à l’amant craintif qui n’a d’autre droit que celui de se savoir aimé, et qui a peur d’offenser celle qu’il aime en faisant valoir un aveu comme un droit. Habile à parler d’amour tant que cet amour n’est que l’expression d’un vœu du cœur, il le redoute lorsqu’il doit paraître l’expression d’un désir ; alors il cherche des biais pour ne pas laisser voir son trouble, car ce trouble est déjà lui-même une confidence de ce qu’il éprouve, et il arrive tout à coup à parler d’une chose qui est à mille lieues de sa pensée et de la pensée de celle à qui il parle. Sans doute Luizzi ne dut pas éprouver cet embarras dans toute sa force, mais il comprit que rien ne pouvait être plus blessant pour une femme comme Léonie, et dans la situation où elle se trouvait, que l’ardeur empressée avec laquelle il chercherait une faveur qui, pour elle du moins, n’avait été jusque-là, pour ainsi dire, qu’un sacrifice au malheur. Cette crainte de la blesser fut assez vive pour qu’il cherchât ailleurs que dans une allusion à leur solitude un moyen de faire cesser l’embarras qui les séparait. Aussi lui dit-il doucement et d’une voix émue :

— Vous souffrez encore, Léonie ?

Elle releva ses beaux grands yeux devenus si doux et lui répondit avec un léger mouvement de tête :

— Non, Armand, je suis mieux maintenant ; ces heures de repos m’ont tout à fait remise.

— Tant mieux, dit Luizzi, vous avez besoin de force pour la destinée que je vous ai faite.

— J’en aurai, Armand, je sens que j’en aurai, je vous promets d’en avoir.

Elle s’arrêta, tandis que Luizzi baissait la tête en sentant dans son cœur les mouvements inconnus d’un amour qu’il n’avait jamais soupçonné. C’est qu’on ne désire pas la femme qu’on aime d’un amour saint comme la femme qu’on aime d’une passion ardente. Les bonheurs qu’on rêve d’elle ne sont pas ceux qui s’appellent des plaisirs amoureux. Il y a, parmi ces bonheurs, des heures d’extase où la vie se fond en joie et qui n’ont d’autre source que deux regards qui se rencontrent, qui se mêlent, qui se perdent longuement l’un dans l’autre ; il y a des ivresses calmes et sereines qui n’ont pas besoin des étreintes pressées de l’amour, mais qui