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à la comtesse qu’ils ne pourraient quitter Fontainebleau qu’à cinq heures du matin, et encore dans le cas très-éventuel où ils trouveraient des places dans la diligence. Il lui apprit aussi que, dans le cas contraire, il s’était informé d’une voiture de louage qui, pour un prix qui n’épouvanterait personne et qui ne dépasserait pas le train de gens qui voulaient se cacher, les conduirait à Orléans. XXIX

AMOUR.

Cependant le reste du jour s’était écoulé dans tous ces préparatifs. Après un dîner servi fort tard, une servante d’auberge avait allumé deux bougies et était sortie de la chambre en disant :

— On éveillera Monsieur et Madame demain au matin, à quatre heures.

Luizzi et Léonie restèrent seuls.

Il ne faut médire de rien en ce monde d’une façon absolue ; de rien, pas même de ces misères de la vie qui ce jour-là avaient paru si odieuses à Luizzi. Toute chose a un point qui la sauve d’une réprobation complète, et la pauvreté elle-même, ce détestable malheur que l’on n’a pas cru maudire assez en l’appelant un vice, la pauvreté elle-même garde parmi les lambeaux, les souffrances, les haillons qu’elle traîne à sa suite, des lueurs de joie, des heures de volupté qui deviennent les plus doux souvenirs de la vie. Le mot le plus vrai qui ait été dit peut-être par une bouche où l’amour a souvent murmuré, c’est celui de la courtisane arrivée à la fortune et à la renommée, et qui s’écriait dans sa triste gaieté de grande dame : « Qu’est devenu le bon temps où j’étais si malheureuse ? »

Cependant l’heure était venue où, après avoir pensé à toutes les chances de leur position, Luizzi et la comtesse n’avaient plus qu’à penser à eux-mêmes. Léonie était dans son lit et regardait le baron, qui, assis à côté du chevet et la tête baissée, cherchait s’il ne lui restait plus aucun soin à prendre. Léonie prenait plaisir à suivre cette préoccupation qui était pour elle, à côté d’elle, sans s’adresser à elle, lorsque Luizzi leva doucement les yeux sur la comtesse et rencontra un regard confiant qui se posait sur lui. Tous deux furent pris au cœur d’un même sentiment ; tous deux comprirent qu’en ce moment la gravité de leur position avait disparu, que la femme coupable et son complice n’étaient plus en présence