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toutes les mesures qu’il venait de prendre, elle lui répondit doucement :

— Il faut que je vous fasse part à mon tour, je ne dirai pas de la résolution que j’ai prise, mais de l’idée qui m’est venue. Il est impossible, comme vous le voyez, que nous quittions tous deux la France sans que vous ayez arrangé vos affaires de manière à ce que notre retour n’y soit pas nécessaire. D’après quelques mots que j’ai entendus chez madame de Marignon et qui ont été dits par un certain M. Gustave de Bridely, il paraîtrait que notre présence à Toulouse est d’une nécessité urgente pour rétablir complètement vos droits à une fortune qu’on vous a injustement disputée.

— Il paraît que tout se sait dans ce monde, répondit Luizzi en souriant.

— Ce n’est pas à vous de vous en étonner, repartit de même la comtesse : toujours est-il que je le sais. Eh bien ! mon ami, il serait plus raisonnable et plus prudent que vous allassiez tout droit à Toulouse ; vous y feriez mieux vos dispositions d’avenir que par une correspondance dont le moindre hasard peut déranger toutes les combinaisons.

— Vous avez peut-être raison, dit Luizzi, mais oserez-vous venir avec moi jusque dans une ville habitée par ce que la noblesse de France possède de meilleurs noms ?

— Je ne ferai point cette imprudence, dit madame de Cerny. Si je ne connais personne à Toulouse où je ne suis jamais allée, je connais beaucoup de gens de Toulouse que j’ai vus souvent à Paris ; mais je puis vous attendre avec tranquillité dans un endroit où vous viendrez me reprendre, lorsque vous aurez terminé tous les arrangements nécessaires à notre fuite.

— Non, Léonie, dit le baron, je ne vous laisserai pas seule dans un misérable village, exposée à la poursuite de votre mari, qui, malgré toutes nos précautions, peut parvenir à découvrir votre retraite, surtout si mon absence devait durer le temps nécessaire pour que j’allasse à Toulouse, que j’y terminasse mes affaires et que je revinsse vous chercher.

— Si le malheur voulait, repartit Léonie, que le comte pût me découvrir, votre présence serait, croyez-moi, un malheur plus grand que votre absence. Je ne veux pas prévoir les conséquences de cette rencontre ; elles pourraient être affreuses. S’il me trouvait seule, au contraire, c’est que j’aurais fui seule ; et, dût-il employer l’autorité que la loi lui donne pour me forcer à rentrer chez lui, crois-moi, Armand, ajouta-t-elle en tendant la main au baron, je saurais lui échapper pour te rejoindre partout où tu me dirais de venir.

— Je le crois, répondit Luizzi ; mais vous ne savez pas, Léonie, ce que c’est que la vie dans un misérable village où vous vous trouveriez seule, sans appui, sans personne à qui demander secours, dans le cas où il vous arriverait un accident, cet accident