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de soin que, si les malheurs n’ont pas manqué à la vie de cet infortuné jeune homme, les calomnies non plus ne lui ont pas manqué.

Au lieu de faire mettre sur les lettres le timbre dénonciateur de la poste en les jetant dans une boîte publique à Fontainebleau, il les confia à un conducteur de diligence pour qu’il les jetât dans une boîte publique à Paris, et, cette fois encore, le pouvoir de l’argent l’emporta sur l’article de la loi qui défend expressément aux employés des diligences de se charger de lettres fermées. Mais ce pouvoir de l’argent ne pouvait pas être si souvent employé par Luizzi sans l’avertir qu’il s’en irait avec l’argent lui-même ; et, lorsqu’il eut soldé les mémoires de tous les fournisseurs qu’il avait fait appeler, il s’aperçut que la somme qu’Henri lui avait remise pouvait lui suffire encore pour un assez long voyage fait dans des conditions ordinaires, mais que, dans le cas d’un événement imprévu qui le forcerait à quitter la France plus tôt qu’il ne le voulait, il serait assez embarrassé. Or, de tous les malheurs qui eussent le plus désespéré le baron, celui de voir se renouveler pour Léonie les misérables douleurs de la vie physique et les honteuses petites privations auxquelles elle avait été soumise aurait été sans doute le plus pénible, car c’était celui auquel il lui était le plus facile de pourvoir. Ne voulant cependant donner connaissance du lieu de sa retraite à aucune personne qui habitât Paris, il se décida à écrire à Barnet pour lui demander tout l’argent qui lui était nécessaire durant au moins quelques mois. La seule difficulté qui restât à lever, c’était celle de l’endroit où il pourrait attendre la réponse du notaire. D’après la précaution que le baron prenait, il ne voulait point s’exposer à paraître dans une ville considérable, et ce fut pour cela qu’il écrivit à Barnet de ramasser tout l’or qu’il pourrait trouver, de l’enfermer dans une cassette solidement close qu’il remettrait à la poste en en déclarant le contenu, et de lui en envoyer la clef par un courrier différent dans une lettre adressée à… (ici manquait la désignation de l’endroit, car il ne l’avait pas encore choisi). Ce choix était la grande question du moment, et le baron en référa à la comtesse. D’après ses calculs, Caroline devait être arrivée à Orléans presque aussitôt qu’eux-mêmes, et un jour d’attente devait suffire pour qu’ils fussent tous réunis. Mais Orléans, comme Fontainebleau, était une ville trop rapprochée de Paris pour pouvoir y séjourner longtemps sans danger.

Le baron fit donc part à la comtesse de ses projets, afin qu’ils déterminassent ensemble la route qu’ils avaient à suivre et le lieu où ils devaient s’arrêter. Lorsqu’il eut raconté à madame de Cerny