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mari, sans qu’il te voie ; ne dis point que je t’ai écrit, et pars immédiatement pour Orléans. Je t’y attendrai à l’hôtel de la poste, où tu te feras conduire. Ne t’alarme pas de ce voyage et ne t’épouvante pas de ce que je te demande. S’il existe un danger au monde pour ta vie, c’est de rester plus longtemps à Paris ; songe que la mienne est peut-être intéressée à ce que tu suives mes conseils sans retard, et que je compte sur toi pour me sauver.

« ARMAND DE LUIZZI. »

Le baron ajouta cette dernière phrase à sa lettre pour déterminer Caroline, sachant bien qu’elle ferait pour lui ce que peut-être elle n’eût pas osé faire pour elle, lui connaissant une de ces âmes dont le dévouement est, pour ainsi dire, la vie, et que Dieu a consacrées au bonheur des autres. Quand sa lettre fut faite, le baron, entré par une faute dans une voie de bien et de protection, voulut venir aussi en aide à toutes les existences qu’il croyait avoir compromises, et il pensa à l’infortune d’Eugénie. La difficulté pour le baron était de trouver quelqu’un qu’il pût charger d’accomplir ce qu’il voulait faire pour madame Peyrol, et, dans la position où il se trouvait, il ne trouva personne à qui il pût mieux s’adresser que Gustave de Bridely. En rapportant la lettre qu’il lui écrivit, nous ferons suffisamment comprendre les raisons qui déterminèrent le baron à un choix qui, de prime abord, doit paraître assez singulier.

« Mon cher monsieur de Bridely,

« Vous vous rappelez sans doute M. Rigot et la singulière condition qu’il avait imposée au mariage de ses deux nièces ; vous devez vous rappeler aussi comment, par un caprice dont vous savez aussi bien le secret que moi, je me suis décidé à me rendre dans cette maison à votre place. Voici maintenant ce qui arrive : M. Rigot a été ruiné, et madame de Lémée laisse effrontément dans la misère le vieillard qui lui a donné sa fortune et sa mère qui la lui a assurée.

« Dans le peu de jours que j’ai passés chez M. Rigot, si je n’ai pas acquis une profonde estime pour cet homme, j’ai du moins appris que madame Peyrol était la femme la plus honorable et peut-être la plus malheureuse que j’aie jamais connue. En la voyant si noble et si distinguée, au milieu d’une famille aussi grossière que la sienne, la pensée m’est souvent venue que cette femme était une enfant de noble famille, qui avait été dérobée à sa mère. Aujourd’hui cette supposition gratuite est devenue une vérité, et j’ai le droit de croire que madame Peyrol appartenait à