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Bleu, qui est à deux pas de la poste et sur la grande route. Cela leur permettait, soit de prendre une voiture particulière, soit de prendre une voiture publique, pour s’éloigner sans que Luizzi et la comtesse courussent risque d’être reconnus en traversant de nouveau à pied une ville qui, durant toute l’année, est un but de promenade pour les oisifs parisiens. Le premier soin que prit le baron en arrivant dans l’hôtel fut de faire donner un lit à la comtesse. Elle se coucha, et le repos de son corps lui rendit bientôt le calme de son esprit ; elle put envisager sa position avec moins de terreur, sous toutes ses faces, et la raisonner de manière à ne point l’aggraver par des démarches inconsidérées. De son côté, Luizzi trouva le loisir nécessaire pour s’occuper des détails matériels du voyage qui leur restait à faire, et il fit venir à l’hôtel tous les marchands qui devaient lui fournir, ainsi qu’à la comtesse, des vêtements plus convenables que ceux qu’ils avaient.

L’or est une puissance dont on n’a pas encore calculé toute la portée, comme on n’a pas encore calculé toute la portée de la vapeur et des machines à dilatation. En effet, à force d’argent, Luizzi parvint à Fontainebleau (à Fontainebleau !) à trouver un tailleur, une couturière, une marchande de modes, qui en douze heures lui confectionnèrent tout ce dont il pouvait avoir besoin. Après avoir pourvu à tous ces détails, que la comtesse remarquait avec cette douce reconnaissance du cœur qui aime et qui tient compte de tout, même d’une épingle, si cette épingle peut signifier : « Je pense à vous ; » après avoir pourvu, disons-nous, à tous ces détails, Luizzi, à côté de celle qu’il perdait, crut pouvoir penser à celle qu’il abandonnait, et le souvenir de sa sœur, livrée à Juliette et à Henri, vint le désespérer. Le baron eût voulu savoir jusqu’au bout la scène de Juliette et du comte de Cerny ; mais il n’osait quitter la comtesse, dont la voix faible et désolée lui disait à tout moment :

— Restez, Armand ; j’ai peur quand je suis seule, il me semble que je ne vous reverrai plus.

D’une autre part, se fût-elle même endormie, il n’aurait pas osé appeler Satan à côté d’elle, redoutant les mouvements de colère où les récits du Diable pouvaient le pousser. Après bien des réflexions, cependant, il pensa qu’il en savait assez sur le compte de Juliette et de Henri pour vouloir arracher Caroline de leurs mains, et ne sachant à qui s’adresser pour la protéger, il résolut de s’adresser à elle-même. Il lui écrivit :

« Caroline,

« Dès que tu auras reçu cette lettre, sors de la maison de ton