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— Va donc, lui dit cet homme, et ne tarde pas ; car le temps passe, et le délai fatal sera bientôt expiré.

— Je pars, maître ! répondit-elle. »

Et alors, se tournant vers moi, elle ajouta avec un cruel sourire :

« — Tu peux mourir maintenant ; car, grâce à moi, ton amant t’a abandonnée, tu ne le reverras plus. »

À peine avait-elle prononcé ces paroles qu’elle disparut et que cet homme, posant sur mon cœur une main de fer, s’écria :

« — Viens maintenant, femme perdue, créature infâme, tu es à moi ! »

C’est à ce moment que je me suis réveillée, et il m’a semblé que les paroles que tu prononçais éclataient sur mon lit de mort, comme un écho de celles que j’entendais dans mon rêve.

— Ou plutôt c’étaient mes paroles mêmes, dit Armand, qui prenaient un sens dans ce songe à moitié éveillé où la réalité se mêlait au délire de ton imagination.

Luizzi avait prêté une attention profonde au récit de la comtesse. Il en avait pour ainsi dire partagé les terreurs jusqu’au moment où l’homme de ce rêve avait parlé d’inceste et d’âme qui reniait son Dieu. Lorsque, emporté par l’effroi de ce qu’il venait d’apprendre de Satan, il avait cru entrevoir dans le rêve de Léonie un terrible avertissement de son terrible confident, il avait prêté un nom à chacun des acteurs de cette scène. Pour lui, cette femme était Juliette, cet homme était Satan ; mais cette circonstance d’inceste lui avait montré jusqu’à quel point il s’était laissé égarer, car il n’y avait rien dans sa vie qui pût répondre à ce mot. Il chercha donc, par toutes ces raisons qu’on appelle la raison, à chasser du cœur de Léonie les craintes chimériques qu’elle avait éprouvées, et il se persuada le premier en voulant la persuader.

Cependant le cocher de Luizzi lui avait tenu parole, ils étaient arrivés à Fontainebleau. Ils firent arrêter leur voiture à l’entrée de la ville ; car, de même qu’ils n’avaient pas voulu que le cocher pût dire où il les avait pris, ils ne voulaient pas qu’il pût dire où il les avait menés. Le baron s’occupa aussitôt de toutes les précautions nécessaires pour que Léonie entrât dans la ville sans y être remarquée ; il la laissa un instant dans la berline pour lui procurer les objets nécessaires à une femme qui doit aller à pied. Le beau et élégant baron s’en alla par les rues de Fontainebleau, entrant dans les magasins pour acheter un châle, un chapeau et un voile à la comtesse. Quand il fut revenu près d’elle, au grand étonnement de tous les passants qui regardaient cet homme portant à la main les emplettes qu’il venait de faire, tous deux rentrèrent dans Fontainebleau et allèrent se cacher dans l’hôtel du Cadran-