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pas intéressé, le reprenant aussitôt qu’ils avaient besoin de se rappeler l’un à l’autre que désormais ils étaient tout l’un pour l’autre. Et la comtesse ajouta de ce même ton triste et épouvanté avec lequel elle avait recommencé son récit :

— Oui, j’étais seule et malade dans cette misérable, chambre. Je dis que j’étais seule, Armand, car tu n’étais pas là ; mais il y avait quelqu’un au pied et au chevet de ce lit fatal. Il y avait un homme et une femme. Cet homme, il me semble que je le reconnaîtrais si je le voyais. Il était vieux, vêtu de noir de la tête aux pieds ; son visage était pâle et portait les marques d’une vie flétrie et débauchée ; il avait de longs cheveux noirs qui pendaient sur son visage, et la malpropreté de son linge et de sa personne me l’aurait fait prendre pour quelque misérable voyageur amené là par la curiosité, si je n’eusse remarqué à sa boutonnière un ruban de couleurs diverses qui semblait annoncer que cet homme était décoré de plusieurs ordres importants.

À cette description, qui ressemblait étrangement au costume que le Diable avait pris pour lui apparaître, Luizzi fut pris d’une terreur glacée, et, se rapprochant de Léonie, il lui dit tout bas et d’une voix dont le tremblement ne s’accordait guère avec les simples paroles qu’il prononçait :

— Ah ! il avait un ruban à sa boutonnière ?…

— Oui, reprit Léonie, sans faire attention à ce mouvement du baron. Quant à la femme qui était au pied de mon lit, elle était jeune et peut-être m’eût-elle paru belle sans l’éclat farouche de ses yeux qu’elle attachait sur moi et qui pénétraient dans mon cœur comme un fer ardent.

— Mais cette fille, dit Luizzi, n’avez-vous pas remarqué son visage ?

— Non, pas précisément, dit la comtesse : tantôt elle me semblait jeune comme une enfant de seize ans, pure et candide malgré l’ardeur toujours brûlante de ses yeux ; tantôt elle me semblait plus âgée, et alors elle avait une expression d’effronterie licencieuse qui me faisait horreur. Cependant ils restaient tous les deux, l’homme au chevet de mon lit, la femme au pied. Ce fut la femme qui parla la première. Elle dit à cet homme :

« — Eh bien ! maître, es-tu content ? »

Cet homme tourna vers moi un regard encore plus affreux que celui de cette femme, puis il répondit :

« — C’est bien pour celle-ci… »

La comtesse s’arrêta, et, après quelque réflexion, elle reprit :

— Il a appelé cette femme Jeannette ou Juliette… Je ne sais. N’importe.

« C’est bien pour celle-ci, dit-il, elle a été infâme et adultère, elle m’appartient ; mais l’autre a-t-elle renié Dieu, et l’inceste a-t-il été accompli ?

— Pas encore, répondit la jeune fille.